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jeudi, 28 mai 2009

R. Steuckers: Entretien à "Pagine Libere" (1993)

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Archives de Synergies Européennes - 1993

Entretien à "Pagine Libere" (Rome)

Présentation succincte de Robert Steuckers

 

Né en janvier 1956 à Bruxelles, Robert Steuckers est licencié en langues anglaise et allemande. En 1981, il a été secrétaire de rédaction de la revue Nouvelle Ecole, dirigée par Alain de Benoist. Il a fondé en 1982 et en 1983, les revues Orientations et Vouloir. Il a collaboré à l'Encyclopédie des œuvres philosophiques (PUF) et prépare un ouvrage sur les auteurs allemands qui ont influencé Julius Evola. En Italie, il a collaboré à Diorama Letterario et Trasgressioni. Il a fondé en 1993 une association paneuropéenne, Synergies Européennes, qui s'est donnée pour tâche de participer chaque année à une université d'été.

 

Q.: Dans votre numéro de Vouloir (n°89/92), consacré aux économies hétérodoxes, vous évoquez les théories qui pourraient contribuer à asseoir une alternative aux systèmes qui ont dominé notre après-guerre?

 

R.: Je pars du principe qu'un mouvement politique alternatif, que toutes démarches politiques visant à corriger les dysfonctionnements économiques observables dans nos sociétés occidentales, doivent s'inscrire dans un réseau de traditions précis. Les marxistes s'inscrivaient dans la logique marxiste; les capitalistes s'inscrivent dans la logique des économies classiques. Nous, les alternatifs, sommes contraints de nous inscrire dans les courants dits «hétérodoxes». Mais cette intention demeurera privée d'effet tant que la notion d'hétérodoxie ne sera pas vulgarisée, admise, explorée. La première tâche est donc, à mon sens, de bien connaître l'histoire des courants hétérodoxes, de façon à en dégager les grandes lignes, à en repérer les constantes, à en actualiser les intuitions. L'idée centrale des hétérodoxies est le «contexte»; l'économie doit s'appuyer sur un contexte, une histoire, un peuple. Elle doit s'inscrire dans le temps et dans l'espace et non dans un discours universaliste qui ignore délibérément les impératifs et les contraintes du temps et de l'espace. Dès le XIXième siècle, les économistes de l'«école historique» (Roscher, Hildebrand, Knies, Schmoller) ont insisté sur le contexte national. D'autres traditions hétérodoxes ont été moins «nationalistes», elles ont privilégié l'approche «classiste» (Veblen et la «leisure class») ou institutionnelle. François Perroux, en France, a montré que l'économie ne se déployait pas en vase clos, mais évoluait dans un monde complexe, imprévisible: si, très souvent, cette complexité conduit à la stabilité, ce n'est pas une règle infaillible: la complexité peut conduire au conflit. Un conflit qu'il s'agira alors de maîtriser; et pour le maîtriser, au milieu des innombrables paramètres qui agitent le monde, il faut être capable d'utiliser de multiples logiques, plusieurs «rationalités économiques». Contrairement à ce que croient les terribles simplificateurs, politiciens ou idéologues, le réel ne se maîtrise pas à l'aide d'une et d'une seule logique. L'hétérodoxie postule donc une pluralité pratique, non pas une pluralité que l'on contemple béatement en tant que telle, mais une pluralité où l'acteur politique choisit ses armes, ses instruments de combat sans en privilégier aucun de façon absolue.

 

Q.: L'hétérodoxie est-elle compatible avec une démocratie réelle, qui respecte l'espace du citoyen?

 

R.: Les théories économiques orthodoxes, c'est-à-dire celles qui ont eu le dessus pendant notre après-guerre, ont conduit, à l'Est, au résultat que l'on sait, et, à l'Ouest, à un accroissement démesuré des entreprises multinationales atteintes d'éléphantiasis et génératrices d'un chomâge catastrophique, c'est-à-dire d'un gaspillage scandaleux des ressources humaines. Le chômage est une exclusion, conduit à la société duale et ruine la notion de citoyenneté. L'exclu n'est pas un citoyen à part entière. L'augmentation des exclus ne permet plus non plus de financer ce bel Etat social des décennies d'abondance. Les délocalisations relèvent d'une pratique déduite des théories qui ignorent le contexte. La ruine de la métallurgie wallone et lorraine, des industries textiles ouest-européennes, est le résultat d'une délocalisation, qui a surtout bénéficié aux grosses entreprises américaines. Les famines générées par la disparition des cultures vivrières dans le tiers-monde participent, elles aussi, de cette même logique perverse. Lorsqu'un peuple produit lui-même les choses essentielles dont il a besoin, il est libre. S'il dépend trop fortement de l'étranger, sa liberté est limitée. Les planificateurs américains ne sont pas dupes: Eagleburger disait: «Food is the best weapon in our arsenal», démontrant par là que l'agriculture américaine devait demeurer largement exportatrice, afin de faire dépendre d'elle un maximum de peuples. Les batailles du GATT ne sont pas autre chose. Dès 1948, les Etats-Unis font échouer la Charte de La Havane, prévoyant trop de dérogations en faveur des pays en cours de reconstruction ou en phase de développement! Il a fallu attendre les années 60, c'est-à-dire la fin de la décolonisation qui ôtait aux grandes puissances européennes des «marchés protégés», pour que les Etats-Unis admettent l'aide au tiers-monde («Alliance pour le progrès» de Kennedy). Par ailleurs Michel Albert, président d'un grand goupe d'assurance français, opère une distinction intéressante entre «capitalisme anglo-saxon» et «capitalisme rhénan/nippon». Le capitalisme anglo-saxon parie d'abord sur la spéculation pure. Son homologue rhénan/nippon sur l'investissement industriel, c'est-à-dire sur une logique du contexte, privilégiant l'outil national, garant d'une certaine forme d'indépendance. Le succès des économies allemande et japonaise prouve en quelque sorte la supériorité pratique des économies «contextualisées», sans pour autant être fermées au monde. Par ailleurs, dans les zones de modèle «rhénan/nippon», la solidarité nationale, la sécurité sociale et la protection des travailleurs étaient nettement plus solides que dans l'Amérique de Reagan ou la Grande-Bretagne de Thatcher.

 

Q.: Logique du contexte et démocratie sont dès lors indissociables?

 

R.: En effet, le combat de demain sera l'affrontement entre le «globalisme» américain et les «contextes». Entre la dictature du marché, parfois exercée par de petits satrapes nationaux et pseudo-nationalistes, et ceux qui veulent garder, pour eux et pour leurs enfants, la dignité d'être «citoyens», donc d'exercer sans discrimination, sans exclusion, leurs vertus de «zoon politikon». Mais l'idéal globaliste détient un atout considérable: la simplicité brutale; le monde doit être un, et tous vivront alors l'American way of life. L'idéal du contexte a la fragilité des systèmes trop complexes. L'hétérogénéité idéologique et philosophique que présente le vaste continent «hétérodoxe» ne permet pas de dégager facilement un corpus instrumentalisable et applicable à la planète entière au bénéfice des toutes les particularités contextuelles. Les détenteurs d'une idéologie simple, qui promet plus qu'elle ne peut tenir, peuvent très aisément fragmenter un front hétérogène, même si celui-ci est le reflet le plus exact d'un réel multiforme. En France, plusieurs économistes, s'inscrivant dans la tradition de Perroux et dans la logique gaullienne de l'indépendance nationale, ont montré l'unité fondamentale des théories hétérodoxes, au-delà des diversités dans la formulation et des spécificités nationales, mais leurs efforts n'ont jamais été poursuivis ni systématisés. Si ces efforts ont été entrepris à l'ère gaullienne ou dans les années qui l'ont immédiatement suivie, ils prouvent par eux-mêmes qu'ils sont l'émanation d'une volonté politique, d'une volonté de sortir des ornières conventionnelles en dépit des plus puissants de ce monde. C'est une volonté qu'il convient désormais d'imiter, de réamorcer. C'est une tâche à laquelle les économistes doivent s'atteler. Mais dans ce travail, ils doivent être épaulés par ceux et celles qui, non seulement possèdent des connaissances théoriques, mais sont animés par une volonté politique. Une volonté de changement.

 

Robert STEUCKERS.

mercredi, 27 mai 2009

Présentation des options philosophiques et politiques de "Synergies Européennes"

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1997

 

Robert STEUCKERS:

Présentation des options philosophiques et politiques de “Synergies Européennes”

Lande de Lüneburg, 5 avril 1997

 

Pourquoi le terme “synergie”?

 

Pourquoi avons-nous choisi, pour désigner notre mouvement, d'adopter le terme de “synergie”, et non pas un autre terme, plus politique, plus ancré dans un champ idéologique clairement profilé? Pourquoi em­ployons-nous un vocable qui ne laisse devi­ner aucun ancrage politique précis? En effet, la notion de “synergie” ne se laisse ancrer ni à droite ni à gauche. Au départ, “synergie” est un concept issu de la théologie, tout comme, d'ailleurs, tous les autres concepts politiques, même après la phase de neutrali­sation des ef­fervescences religieuses qu'a connue la modernité à ses débuts, au XVIIième siècle. Pour Carl Schmitt, tous les concepts prégnants de la politique sont des concepts théologiques sécularisés. Dans le lan­gage des théolo­giens, une “synergie” s'observe quand des forces différentes, des forces d'origines différentes, de nature différente, entrent en concurrence ou joignent leurs efforts pour atteindre en toute indépendance un objectif commun. Nos objectifs principaux, dû­ment inscrits dans notre charte, visent, d'une part, la liberté et la pluralité dans la vie quotidienne, d'autre part, la capacité de décider en cas de situation exceptionnelle. L'erreur des idéologies dominantes de ce siècle, c'est justement d'avoir pensé sé­parément la liberté de la décision.

- Ou bien l'on croyait, avec Kelsen notamment, que l'effervescence et les turbulences du monde cesse­raient définitivement et qu'une ère de liberté éternelle s'ouvrirait sans que les hommes politiques n'aient plus jamais à prendre de décisions. Fukuyama a réactualisé ce vœu de “fin de l'histoire”, il y a six ou sept ans.

- Ou bien on ne croyait qu'à la seule décision virile, comme les fascismes quiritaires, et on voulait maximiser à outrance la quantité de décisions suivies d'effets “constructifs”; de cette façon, on a contraint certains peuples à vivre dans une tension permanente, obligé les strates paisibles de la société à vivre comme les élites conquérantes ou les soldats sur la brèche, on a négligé l'organisation du quotidien, qui ne postulait nullement cette perpétuelle effervescence de la mobilisation permanente et totale. Les fascismes quiritaires, le national-socialisme n'ont généré ni un droit propre (si ce n'est une opposition systématique aux “paragraphes abstraits”) ni une constitution ni restauré un droit jurisprudentiel à la façon anglaise (au grand dam d'un ju­riste comme Koellreutter, qui a oscillé entre le droit anglais et le national-socialisme!). Aucun cor­pus doctrinal de ce siècle, d'après 1919, n'a su ou voulu penser conjointement et harmonieusement ces deux impératifs, ces deux nécessités:

1) se tenir prêt pour faire face aux imprévus qui s'abattent sans cesse sur le monde et sur l'histoire des hommes (ce que voulaient les décisionnistes);

2) organiser le quotidien dans la cohérence, sur le long terme (ce que voulaient les constitutionnalistes).

Une bonne part du débat politique de fond a tourné autour de l'opposition binaire entre “décisionnistes” (assimilés aux fascistes ou aux conservateurs) et “quotidiennistes” (qui survalorisaient l'Alltäglichkeit, le “règne du on”, les jugeant plus “moraux“ parce que leur marque principale était la quiétude). La nécessité d'organiser le quotidien dans la cohérence et sur le long terme n'exclut pas la nécessité impérieuse de la décision, de faire face à l'imprévu ou à la soudaineté.

 

Un projet politique d'avenir doit donc nécessairement reposer sur une capacité d'appréhension à la fois de la décision et du quotidien. Comment décision et quotidien ont-ils été appréhendés dans les idéologies dominantes de la gauche et de la droite? Pourquoi les modes d'appréhension de ces droites et de ces gauches dominantes ont-ils été insuffisants?

 

A droite: un fusionisme sans souci des valeurs

Dans le camp des droites, du conservatisme ou du national-conser­vatisme, il n'y a pas d'homogénéité dans l'appréhension de la li­berté (entendue au sens d'absence de mobilisation politique permanente) ou de la décision. Quelques exemples: au temps de la guerre froide, terminée avec l'effondrement du Mur de Berlin en 1989, la liberté, disait-on, surtout aux Etats-Unis, s'opposait au commu­nisme, quintessence de la non-liberté et idéologie fortement mobilisatrice. Hannah Arendt écrivait que le stalinisme, au début des années 50, était l'incarnation de l'“autoritarisme”, qui avait pris, jadis, tour à tour, un visage clérical, milita­riste, fasciste, etc. A la fin des années 50, pour faire pièce aux gauches étatistes, communistes, socia­listes ou keyné­siennes, le monde poli­tique américain lance l'expérience du “fusionisme”, soit l'alliance des conservateurs anti-communistes et des libertaires anti-autoritaires, c'est-à-dire des partisans d'une société civile sans élites mobilisatrices et quiritaires, axée sur l'économie, le commerce et la technique, et les partisans d'une sorte de “leisure society”, propre des rentiers et des ar­tistes situés en dehors de tout circuit économique fonctionnant. Dans ce fusionisme, la question des valeurs reste sans solu­tion. Parce que les valeurs habituellement attribuées au conservatisme, comme le sens du devoir, se marient mal avec les options des liber­taires, on fait, par calcul politicien, l'impasse sur la valeur “devoir”, cardinale pour toute philosophie cohérente et stable de la Cité. On se rend forcément compte que la notion de devoir limite la liberté (du moins si on entend par liberté la licence ou la permissivité), ce que n'acceptent pas les alliés libertaires et anarchisants. Du fusionisme découle le conserva­tisme technocratique, qui se passe de toute réfé­rence à des valeurs mobilisantes et cimentantes et esquive de ce fait la ques­tion de la justice qui repose inévitablement sur une table de valeurs, située au-delà des intérêts matériels et économiques. Ainsi, les commu­nautés ou les résidus de communauté perdent leur cohésion, en dépit des politiques conservatrices.

 

Fusionisme et conservatisme technocratique prennent le pas sur les conservateurs axiologiques (Wertkonservativen)  ou les conserva­teurs décisionnistes, ruinant ainsi l'homogénéité de la droite et annonçant à plus ou moins long terme d'autres re­compositions (même si elles se font encore attendre). Autres exemples: au niveau de la politique économique, axiologistes et dé­cisionnistes chercheront générale­ment à inscrire des valeurs dans leur praxis économique. Ils s'opposeront dès lors for­cément au néo-libé­ralisme ou à toute forme de globalisation inscrite sous le signe de cette idéologie strictement économique. Fusionistes et technocrates accorderont la priorité à l'efficacité et tolèreront les pratiques néo-libérales du profit à très court terme, considérant que la globali­sation est inévitable et que la société qu'ils sont appe­lés à gérer n'aura pour seule originalité que d'être une niche parti­culière parmi d'autres niches particulières dans le processus général de globalisation, une niche qu'on nettoiera de ses particularités et où rè­gneront, finalement, les mêmes principes que ceux de la globalisa­tion.

 

Des idéologies qui donnent la priorité aux valeurs

En Europe, face à la problématique de l'unification européenne, si l'on donne la priorité aux valeurs, on sera:

- soit un nationaliste hostile à l'eurocratisme, dont le patriotisme nationalitaire sera fondé sur l'appartenance charnelle à une culture précise, héritée des générations précédentes et de l'histoire, cimentée par un jeu de valeurs de longue durée;

- soit un européiste qui considère l'ensemble des peuples européens comme un écoumène civilisationnel de facture chré­tienne ou non chrétienne,

- soit un ordo-socialiste ou un socialiste acceptant les règles de l'ordo-libéralisme allemand (le modèle du “capitalisme rhé­nan” se­lon Michel Albert).

Le souci des valeurs postule donc implicitement l'alliance prochaine

1) des nationalistes qui auront la force de transcender les limites des Etats-Nations modernes conventionnels,

2) des européistes qui voient d'abord dans l'Europe à la fois un espace stratégique indissociable et un espace de civilisation et de valeurs spécifiques et, enfin,

3) des socia­listes enracinés dans la cul­ture industrielle de type “rhénan”, qui donne la priorité à l'investissement industriel par rapport au capital spéculatif, où les impératifs industriels lo­caux et les structures patrimoniales sont pris en compte concrète­ment, où les investissements dans l'appareil éducatif ne sont jamais rognés, et où l'on ne bascule pas dans les mirages délo­calisés d'une culture écono­mique axée princi­palement sur la spéculation boursière. La fusion de ces corpus poli­tiques est l'impératif des premières décennies du XXIième siècle. A la fusion technocratisme conservateur/libertarianisme, née dans les années cinquante aux Etats-Unis puis importée en Europe, il faut opposer la fusion de ces trois forces politiques, au-delà de tous les faux clivages, désormais obsolètes.

 

Nationalistes patriotes, ordo-socialistes et européistes “axiologues” refusent pourtant l'eurocratisme ac­tuel, car celui-ci ne tient nulle­ment compte des valeurs et repose sur ce “relativisme des valeurs” et cet oubli des leçons de l'histoire qui provo­quent la déliquescence des sociétés. Si l'européisme peut être un retour à des valeurs fon­datrices, renforçant les ressorts de la Cité, l'eurocratisme ne peut que perpétuer le relativisme absolu et la déliquescence sociale.

 

Si l'on accorde la priorité à l'efficacité économique, on peut être en faveur de l'unification européenne, selon les critères criti­quables d'aujourd'hui, mais on ne devra pas oublier que le chômage alar­mant est un frein à l'efficacité économique et qu'il dé­coule directe­ment de l'application des principes néo-libéraux, is­sus du relati­visme des valeurs et du refus des héritages histo­riques. En re­vanche, une volonté d'efficacité économique pourra s'avérer hostile à l'unification européenne dans les conditions actuelles, car le gi­gantisme eurocratique réduit l'efficacité là où elle est réellement présente et où elle constitue un barrage contre le chômage pandé­mique: dans certains tissus agricoles locaux (ce que n'a pas manqué de souligner la FPÖ autri­chienne) ou dans certaines en­tre­prises industrielles locales, bien ancrées dans le marché euro­péen mais qui seraient inca­pables de faire face à une concurrence extra-européenne qui se nicherait dans notre continent, au nom d'un libre-échangisme planétaire ouvrant toutes les portes aux marchandises japonaises ou coréennes, dont le coût est plus bas car il n'inclut ni la sécurité sociale du personnel ni les taxes écologiques visant la protection du patrimoine “environnement” ni un certain réin­vestissement dans les réseaux éducatifs.

 

Sur le plan géopolitique, opter pour le primat des valeurs implique de raisonner en termes de civilisation, de percevoir le monde comme un réseau d'espaces civilisationnels juxtaposés, différents mais pas né­cessairement antagonistes. Ces es­paces sont animés par une logique intérieure, c'est-à-dire par un sys­tème de valeur cohé­rent et accepté, impliquant pour les hommes harmonie et consen­sus. Le primat des valeurs implique aussi ipso facto que l'on res­pecte les valeurs qui animent les espaces voisins du nôtre. Cependant, opter comme les droites néo-libérales (voire les droites “hayekiennes”) pour un primat de l'efficacité, sans tenir compte des valeurs structurantes, ou ne consi­dérer celles-ci que comme des reliquats en voie de disparition graduelle, c'est opter automatique­ment pour le système des pseudo-valeurs occidentales modernes et rela­tivistes. Une telle option implique le refus de toutes les valeurs structurantes des civilisations, quelles qu'elles soient, et impose le “relativisme des valeurs”, c'est-à-dire leur négation pure et simple (Benjamin Barber: McWorld contre Djihad!), et, partant, le refus de la valeur “justice” (Rawls).

 

La gauche tiraillée entre justice et relativisme

Dans le camp de la “gauche” (du moins pour les adeptes des sys­tèmes de classification binaires qui se déclarent tels), il n'y a pas davantage d'homogénéité que dans le camp des droites (pour les binaires d'un autre genre...). Dans cette nébuleuse de gauche, aux contours flous, on est en faveur de l'unification eu­ropéenne quand on imagine qu'elle est une étape vers l'“Internationale”, désormais mise en équation avec la parousie globaliste. Ou bien on est hostile à cette Europe de Bruxelles et de Strasbourg, parce qu'elle est une Europe capitaliste. Sur le plan géopolitique, face à l'émergence de “blocs civilisationnels”, une gauche sympathique mais en voie de disparition, approuve la consolidation des valeurs dans les aires civilisationnelles voisines des nôtres (islam, animisme africain, bouddhisme, indigénisme hispano-amé­rindien, etc.), tandis qu'une nouvelle gauche agressive et messianique fait sienne une vulgate militante basée sur les “droits de l'homme”, subtilement raciste car seule cette idéologie, née en Europe du Nord-Ouest, est jugée va­lable, le reste étant “tribalisme”, injure équivalant désormais de “para-nazisme”.

 

En conclusion, face à une droite tiraillée entre le sens des valeurs et le néo-libéralisme et face à une gauche ti­raillée entre le sens de la jus­tice et l'agressivité occidentaliste et relativiste, force est de constater que les vo­cables politisés de “gauche” et de “droite” ne recouvrent plus rien de précis, qu'ils ne parviennent plus à séparer réellement des op­tions politiques antago­nistes. La droite ou la gauche idéales, pour les uns comme pour les autres, n'existent pas: elles sont des “sites in­trouvables”, comme l'affirmait Marco Tarchi (in: «Destra e sinistra: due essenze introvabile», Democrazia e diritto, 1/1994, Ed. Scientifiche Italiane).

 

Sur le plan historique, effectivement, nous découvrons une flopée de figures et de théoriciens importants qui oscillent entre cette droite et cette gauche ou que l'on a fourré dans la boîte de gauche quand ils étaient vivants, pour les fourrer ensuite dans la boîte de droite, quand la mode a changé ou le vent a tourné. Ainsi, Georges Sorel, théoricien socialiste français du début du siècle, appartenait de son vivant à l'ultra-gauche syndicaliste et révolutionnaire. Mais ce syndicaliste-révolutionnaire inspire Mussolini, également classé dans la gauche socialiste et belliciste italienne. Mais, voilà, Mussolini, étatiste et volon­tariste, est contesté par la gauche parle­mentariste et déterministe: on le sort de sa boîte de gauche pour l'enfouir dans une boîte de droite, avec son Sorel, son fascisme et ses flonflons. Après 1919, les “révolutionnaires-conservateurs” al­lemands, Ernst Jünger et Carl Schmitt admirent chez Sorel son sens de la décision et sa théorie de la grève générale insurrectionnelle. Sorel reste donc, malgré son ouvrié­risme foncier, dans la boîte de droite: il devient même une figure de la droite radicale en Italie, en France et en Allemagne, après 1945. En France, l'un de ses disciples, Hubert Lagardelle, devient même ministre de Vichy pendant la seconde guerre mon­diale.

 

Il n'existe donc pas d'idées de droite qui n'aient pas été jadis à gauche. Le nationalisme est dans ce cas. Mais il n'existe pas davan­tage d'idées de gauche qui n'aient pas été ancrées un jour à droite. Cet état de choses doit nous conduire à formuler le jugement sui­vant: la gauche et la droite sont des concepts dé­passés, dans la me­sure où elles ne sont pertinentes que dans le cadre d'un régime précis mais unique­ment tant que ce régime est accepté par les grandes masses et fonctionne efficacement, tant qu'il peut affronter les vicissitudes du monde en perpétuelle effervescence.

 

Représentations figées et guerre des looks

 

Mais tout régime s'use. L'usure de l'histoire est le lot de toutes les constructions politiques. Quand cette usure a fait son œuvre, les gauches et les droites institutionnelles voire leurs dérives plus radi­cales se fi­gent, deviennent des phénomènes raidis dans un monde qui ne cesse de se mouvoir. A partir du moment où les gauches et les droites institutionnelles ne peu­vent plus résoudre les problèmes de société comme le chômage et l'emploi, l'augmentation démesurée des dettes publiques, l'incompétence de la magistra­ture, la crise de l'enseignement, l'effondrement du consensus, elles ne sont plus que des “représentations” (pour reprendre le vocabulaire de Gilles Deleuze). Des sortes d'images platoniciennes figées que l'on agite comme s'il s'agissait de vérités révélées et immuables ou, plus prosaïquement, que l'on agite avec véhémence comme des pancartes revendicatrices lors de manifestations. Toute l'histoire des “grands récits” (Lyotard) de l'idéologie occidentale du XVIIIième au XXième siècles consiste en une succession de “représentations”: aux représentations conservatrices-cléricales puis bourgeoises, on a opposé la re­présentation ouvrière-socialiste ou la représentation fasciste ou nationale-socialiste ou verte-écolo. Quand une représentation ne convenait plus à une catégorie de la popu­lation, on en fabriquait une nouvelle et on l'opposait aux plus anciennes. Toute la vie politique a consisté ainsi en une guerre des représentations, une guerre des looks. Jusqu'au paroxysme des re­présentations totalitaires... et surtout jusqu'à la satiété des citoyens.

 

Cette guerre des looks  ne résout rien: on s'en est aperçu et ce fut la fin des “grands récits” (théorisée par Lyotard). Ce type de conflit est insuffisant. Avec Deleuze et ses continuateurs, on s'aperçoit désor­mais que l'on ne peut pas sans cesse produire et reproduire des re­présentations, en n'y apportant que de lé­gères retouches. Le monde n'est pas fractionné en camps fermés sur eux-mêmes et détenteurs théo­riques de vérités définitives. Le monde, l'histoire, les arènes politiques, les héritages juri­diques, les jurisprudences, etc. sont bien plutôt autant de ré­seaux denses et inextricables, de croissances vitales, d'effervescences organiques ordonnées ou dé­sordonnées mais néanmoins bien présentes et bien réelles, con­crètes. Dans ces réseaux, l'homme actif (politiquement, socialement ou existentiellement) doit se tailler, se frayer un chemin à la ma­chette, sich eine Schneise durchhaken, disait Armin Mohler quand il tentait d'expliciter son existentialisme ou son réa­lisme héroïque (en l'appelant maladroitement “nominalisme”, vocable qu'a rapidement repris Alain de Benoist, son admirateur naïf, collec­tionneur -ânonneur de vocables non usuels, toujours vainement en quête d'une notoriété qu'il n'a jamais obtenue). La dé­marche vitale ne consiste donc plus à imposer au dense grouillement du réel des “représentations” figées et naïves, mais de repérer des forces et des opportunités, des passages et des trouées, pour cheminer le plus sû­rement, le plus sereinement possible, en dépit des défis fusant de toutes parts.

 

Complexité, pluralité et démarche archéologique

 

Cette vision deleuzienne du réel, implique, sur le plan politique con­cret, de ne plus chercher à répandre des programmes ri­gides, à se balader dans la société avec sa pancarte ou son affiche sur le ventre, mais à retourner résolument à l'épais sous-bois de l'histoire, où les traits trop simples d'un look  idéologico-poli­tique ne valent que ce qu'ils valent: une mauvaise carica­ture, une gesticulation maladroite. Prendre posi­tion politiquement, aujourd'hui, c'est donc plonger plus profondément dans les tréfonds de notre histoire, aller fouiller sous l'humus qui ne recouvre le sol que sur une faible profondeur. Prendre position po­litiquement aujourd'hui, c'est procéder à une démarche archéologique, c'est faire l'archéologie de notre site de vie. Je vis dans une Cité politique précise qui s'est construite pro­gressivement au fil du temps, qui a généré un appareil juridi­que/consti­tution­nel complexe, tenant compte des strates multiples qui composent cette société et récapitulant subtilement dans les méandres mêmes de ses textes et dans les arcanes de ses pratiques les oppositions, fusions et contradictions dont cette société est fina­lement le résultat mouvant et vivant. Cet entrelac com­pliqué est précisément le sous-bois auquel il faut re­tourner et sur lequel il ne faut pas plaquer d'idéologie toute faite. Toute véritable prise en compte de l'histoire du droit dans une Cité interdit les ju­gements binaires des gauches et des droites ainsi que les simplismes des faux sa­vants qui manient l'idéologie (schématisante) comme d'autres la trique.

 

La pensée politique doit donc retourner à des œuvres fondamen­tales, injustement méconnues, comme celles d'Althusius, de Justus Möser, de Wilhelm Heinrich von Riehl et d'Otto von Gierke. Leurs travaux prennent en compte l'ensemble des socié­tés, avec toutes leurs différences intérieures, toutes les symbioses qui s'y juxtaposent. Leur pensée juridique, sociale et poli­tique ne peut nullement se résumer à un schématisme binaire, mais exprime toujours de denses complexités, tout en nous apprenant à les explorer sans les mutiler. Le drame de la civilisation occidentale, c'est justement de ne pas s'être mis à l'écoute de ses œuvres depuis deux ou trois cents ans. Pour ces auteurs, ce qui compte, c'est le fonctionnement harmo­nieux/symbiotique ou le développe­ment graduel de la Cité, selon des rythmes éprouvés par le temps, et non pas sa correction forcée et son alignement contraignant sur les critères d'un pro­gramme abstrait. Le programme-représentation ne saurait en au­cun cas, avec cette pen­sée politique organique, oblitérer le fonc­tionnement rythmé et traditionnel d'une société. Tout retour à ces corpus organiques postule de raviver des modèles liés à un site géographique, de faire revivre, vivre et survivre des héri­tages et non pas d'imposer des “choses faites”, des choses relevant de la manie mo­derne de la “faisabilité” (que Joseph de Maistre nommait plus élégamment l'“esprit de fabrication”). Le sous-bois épais et touffu de Deleuze, véritable texture de son “plan d'immanence”, est un héritage, non pas une fabrication. Le sous-bois est un tout mais un tout composé de variétés et de nuances à l'infini: l'attitude qui est pertinente ici  n'est pas celle qui est pertinente là. L'homme qui chemine dans ce sous-bois (qui ne mène nulle part, si ce n'est sur la terre même, où il se trouve toujours déjà)  doit être capable d'adopter rapidement et tour à tour plusieurs attitudes, de s'adapter plastiquement aux circonstances diverses qu'il rencontre au gré des imprévus: cette vision du monde comme un immense entrelac immanent d'abord, cette nécessité bien perçue de l'adaptation perma­nente ensuite, sont les deux principales garanties de la pluralité. Quand on pense simultanément entrelac et adaptation, on pense pluriel et on est vacciné contre les interprétations et les représentations unilatérales.

 

Symbiotique et subsidiarité

 

Autre avantage pratique: la vision deleuzienne et le recours au filon qui part d'Althusius pour aboutir à Gierke permettent, une fois qu'ils sont combinés, de donner un contenu concret à ce que l'on nomme la subsidiarité. Dans l'article 3b du Traité de Maastricht, les législateurs européens ont prévu le passage à la subsidiarité sur l'ensemble du territoire de l'Union. Mais la définition qu'ils donnent de cette subsidiarité reste imprécise. Et elle est interprétée de diverses façons. En effet, que signifie la subsidiarité pour diffé­rents acteurs politiques européens?

- Pour Madame Thatcher et ses successeurs, la subsidiarité n'était qu'un prétexte pour défendre exclusi­vement les intérêts britanniques dans le concert de l'UE. Certains gaullistes lui ont emboîté le pas, de même que le groupe De Villiers/Goldsmith.

- D'autres espèrent, par antipolitisme, que la subsidiarité va conduire à une balkanisation de l'Europe, à un retour à la Kleinstaaterei  incapacitante, car, à leurs yeux, toute capacité politique est un mal en soi.

- Pour d'autres encore, elle n'est qu'un artifice de gouvernement dans un futur Etat européen hyper-cen­tralisé. La subsidiarité conduira à l'intérieur d'une telle Europe à une régionalisation à la française, où les parlements régionaux sont purement for­mels et n'ont pas de pouvoir de décision réel.

- Pour nous, un projet continental de subsidiarité est un projet de rapprochement des gouvernants et des gouvernés dans tout l'espace européen, visant à instaurer des rapports de citoyenneté féconds, à redonner à la société civile un espace public, où ses dynamismes peuvent réellement s'exprimer et se répercuter dans la vie quotidienne de la Cité, sans rencontrer d'obstacles ou d'obsolescences incapacitantes. Ce projet continental de subsidiarité est indissociable de la question écono­mique. Si l'ancrage poli­tique au niveau des pays est une nécessité pour rétablir les consensus écornés par la déliquescence des valeurs, il doit être concomitant à une “recontextualisation” de l'économie. Si la volonté de “recontextualiser” l'économie, de réancrer les forces économiques sur le lieu même de leur déploiement, si cette recon­textualisation redevient la caractéris­tique principale d'une économie saine, on ne pourra plus parler d'une césure gauche/droite mais d'un clivage opposant les or­thodoxies économiques, voire les orthoglossies économiques (consistant à répéter inlassablement les mêmes discours idéo­logisés sur l'économie), aux hétérodoxies. Pour les historiens français de l'histoire des théories économiques, les orthodoxies sont: 1) l'économie classique (le libéralisme dévié d'Adam Smith, le manchesterisme), 2) le marxisme et 3) la synthèse key­nésienne, du moins telle qu'elle est instrumentalisée par les sociaux-démocrates. Toutes ces pen­sées orthodoxes sont mé­canicistes. Face à elles, les hétérodoxies sont très variées: elles ne prétendent pas à l'universalité; elles se pensent comme produits de contextes précis. Elles ont pour sources les ré­flexions posées par l'école historique (allemande) au XIXième siècle, pour laquelle l'économie se dé­ployait toujours dans des espaces travaillés par l'histoire. Dans une telle perspective, aucune économie ne peut se développer dans un contexte dépourvu d'histoire. Outre l'école historique allemande, les hété­ro­doxies dérivent des socialistes de la chaire et des institutionalistes américains (dont Thorstein Veblen; les institutions déter­minent l'économie, or les institutions, elles aussi, comme le droit, sont produites par l'histoire). Pour François Perroux qui, en France, a fait la synthèse de ces corpus variés, l'économie se déploie au sein de dynamiques de structures, dans des turbu­lences où s'entrechoquent des forces va­riées: nous retrouvons là, dans un langage scientifique, avec un appareil mathéma­tique adéquat, ce que le philosophe-poète Deleuze avait appelé le “rhizome”, ce sous-bois, cette jungle du plan d'immanence, dans laquelle l'homme lucide doit repérer et capter des forces.

 

Parmi ces lucides qui repèrent et captent, il y a bien entendu des hétérodoxes que l'on classe à gauche et d'autres que l'on classe à droite. Mais ce qui importe, dans leurs théories et discours, ce n'est pas le la­bel, mais, plus justement, ce qui fait leur hétérodoxie, soit la volonté de se démarquer du mécanicisme des orthodoxies, de se dégager des impasses politiques dans lesquelles elles ont fourvoyé nos sociétés.

 

Révolution conservatrice et “événement-choc”

 

Mais si les questions brûlantes de la politique sont celles de la subsidiarité, de la réorientation de la pen­sée économique vers les théories hétérodoxes, que reste-t-il de notre engouement pour la “révolution conservatrice”? N'est-il pas le dernier indice d'un ancrage que l'on pourrait labéliser de “droite”? N'est-il pas ce petit “plus” qui permettrait de nous ranger définitivement dans la “boîte de droite”? Premier élément de réponse: ce qui consitue l'essence de la “révolution conservatrice”, ce n'est pas tant la dimension proprement conservatrice, c'est-à-dire le maintien de formes anciennes ou la volonté de garder “fixes” et immuables certaines institutions, mais l'attention constante pour l'Ernstfall (le cas d'exception), l'éveil à tout ce qui est soudain (Das Plötzliche), inattendu (Das Unerwartete), l'événement choc vécu en direct et qui appelle une réponse rapide, une déci­sion (Eine Entscheidung). Cette attention et cet éveil ont été considérés comme les marques les plus caractéristiques de la “révolution conservatrice”, rangée à droite dans l'univers des panoplies politiques. Mais l'éveil à ce qui est soudain n'est pas seulement ancré à “droite”. Tant les surréalistes, contestataires et hostiles à toute forme de conservation institutionnelle, que Walter Benjamin y ont été attentifs et lui ont accordé la priorité, le statut d'essentialité, par rapport à la simple et répétitive quo­tidienneté. On retrouve la même valorisation de l'instant crucial, marqué d'une forte charge d'intensité, chez Carl Schmitt, chez Ernst Jünger, chez Martin Heidegger. Chez Benjamin, le fait de vivre un choc et de gérer ainsi l'irruption de l'imprévu, de vivre sous l'emprise d'une logique du pire, évite le traumatisme incapacitant, permet de vivre et de naviguer dans un monde qui transite de catastrophe en catastrophe.

 

Focaliser l'attention du personnel politique d'élite sur la soudaineté et l'irréductibilité du particulier face aux prétentions de l'universel, permet justement de ne pas “perdre les pédales”, de ne pas “craquer” devant le constat que l'on est bien forcé de poser aujourd'hui: la fin de l'histoire (Fukuyama), l'advenance d'un temps hypothétique où les décisions seraient devenues su­perflues, n'arriveront pas. Jamais. Cette non-advenance bien constatable prouve l'inanité des thèses de Kelsen ainsi que des institutions et des pratiques politiques qui en découlent. Elle contraint à penser métaphoriquement le plan du politique comme un sous-bois touffu, comme une masse unique et toujours particulière de sédimentations multiples, inextricablement enchevê­trées, dont témoignent l'histoire du droit, l'histoire constitutionnelle et la jurisprudence. Dans l'enchevêtrement de pratiques ju­ridiques non répressives mais codifiant, décodifiant et recodifiant la convivialité publique (pratiques qui sont de ce fait non pu­nissantes et non surveillantes, pour rappeler ici le travail de Foucault), dans cet enchevêtrement donc, s'expriment des va­leurs, sous des oripeaux qui se modifient et s'adaptent au fil du temps, tout en conservant l'essentiel de leur message.

 

Conclusion

 

Par conséquent, le projet de “Synergies Européennes” étaye sa revendication de subsidiarité par un recours aux corpus sym­biotiques d'Althusius, Möser, Riehl, Gierke, etc. pour organiser et renforcer une quotidienneté organique, dégagée des sim­plismes politiciens et mécanicistes qu'ont véhiculés la plupart des idéologies du pouvoir en Europe. Cette quotidienneté doit pouvoir s'exprimer dans des assemblées élues par la population de régions historiques, expressions de substrats historiques, juridiques et économiques de longue durée. Ces substrats représentent des “contextes” économiques particuliers, dont la par­ticularité ne saurait être ni altérée ni oblitérée ni éradiquée. Toute volonté d'altérer, d'oblitérer ou d'éradiquer ces substrats participent d'une volonté mécanique de “surveiller” et de “punir”, qui se camoufle souvent derrière des discours iréniques et moralisants. Ces particularités substratiques doivent donc être prises en compte telles qu'elles sont, dans leur complexité que le philosophe-poète compare volontiers à un sous-bois touffu ou à une forêt vierge. Cette complexité est organique et forcé­ment rétive à toute logique mécanique, binaire ou simpliste. Sur le plan économique, elle ne peut être appréhendée que par une pensée de type historique, c'est-à-dire, selon la classification qu'ont opérée les historiens français contemporains de la pensée économique, une pensée “hétérodoxe”.

 

Mais ce réel pensé comme sous-bois peut le cas échéant subir l'assaut d'aléas mettant ses équilibres particuliers en danger. L'événement-choc, soudain, fortuit, terrible, peut bousculer des équilibres organiques pluriséculaires: ceux-ci doivent toujours être capables de faire face, de cultiver une logique du pire, pour que les chocs qu'ils affrontent ne les détruisent ni ne les trau­matisent. Telle est la disposition d'esprit qu'il faut retenir des décisionnistes historiques (Sorel et ses disciples de la “révolution conservatrice”) et de l'œuvre de Walter Benjamin.

 

Deux pistes pour sortir des enfermements de gauche et de droite et pour accepter la diversité du monde et le divers en nos propres sociétés.

Robert STEUCKERS.

 

 

jeudi, 02 avril 2009

Vilfredo Pareto et la circulation des élites

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1995

Université d'été de la F.A.C.E. (juillet 1995):

Résumé des interventions

 

Jeudi 27 juillet 1995

 

Vilfredo PARETO et la circulation des élites

(Intervention d'Enrico Galmozzi, traduite par Alessandra Colla)

 

Cet exposé est aussi une présentation de la revue Origini, éditée conjointement par Alessandra Colla, le Centro Culturale Orion  et Sinergie Europee, qui vient de sortir un gros dossier sur Vilfredo Pareto.

 

Si des institutions scientifiques, comme celles qui gravitent autour de la maison d'édition Droz ou des Cahiers Vilfredo Pareto, à Genève et à Lausanne, ont continué, imperturbables, à éditer Pareto et ses exégètes ou continuateurs, en Italie, un voile est tombé sur son œuvre, jugé trop “à droite”, voire “pré-fasciste”, alors que la sociologie était jugée, à tort, comme un héritage exclusif des gauches. Pareto a donc toujours été plus accusé que lu, plus cité (à partir de sources secondaires) qu'étudié. Après les dé­cès de Raymond Aron et de Julien Freund, qui ont été ses meilleurs disciples, l'étude de l'œuvre paré­tienne est entrée, elle aussi, en dormition; avec la récente étude de Bernard Valade, on peut espérer son retour dans l'université française (cf. Pareto: la naissance d'une autre sociologie, PUF, 1990).

 

Dans le cadre de nos travaux, il est bon de rappeler quelques termes de la sociologie de Pareto:

- L'élite est la classe élue, un petit groupe qui se détermine seul, qui se montre capable d'influencer la masse, qui devient aussi, par le truchement du phénomène de la “circulation des élites” le groupe domi­nant au sein d'une société ou d'un Etat.

- Les résidus, sont des sentiments permanents, irrationnels, qui conditionnent les hommes individuelle­ment et collectivement, et déterminent leurs actions non-logiques. Ce sont les traditions, les héritages, les stratifications dues à la religion, aux droits anciens, aux préjugés.

- Les actions logiques, sont des raisonnements dérivés de l'observation des faits.

- Les actions non-logiques, relèvent, elles, des résidus.

 

Le fondement de l'œuvre de Pareto est une critique de l'idéologie, en somme, une volonté d'arracher les masques que se donne la praxis sociale pour retrouver le fonctionnement réel de la société et l'analyser crûment, sans aucun recours aux dérivatifs idéologico-philosophiques habituels. Dans le sillage de Pareto, le terme “idéologie” a été employé dans un sens polémique: les faits réels sont recouverts par un voile de nature idéologique, qui justifie l'existence d'appareils de pouvoir qui sont souvent efficaces en phase initiale de déploiement, mais qui s'usent avec le temps, pour tomber ensuite dans une caducité problématique, enrayant la bonne marche de la société et barrant la route aux forces innovantes. Pareto veut forger une méthode d'investigation scientifique de ce processus, afin que les forces innovantes puissent disposer d'un instrument critique imparable et jeter bas les forces déclinantes avant qu'elles ne figent une société et ne finissent par la tuer. Pour Pareto, il ne s'agit pas tant de refuser a priori toutes les mystifications idéologiques, car celles-ci se justifient dans la mesure où il y a une véritable demande so­ciale de mystification. Mais il faut que cette mystification serve un fonctionnement optimal de la société. Si elle ne justifie plus qu'un fonctionnement caduc, elle doit disparaître au plus vite. La mystification effi­cace est “mythe” au sens sorélien du terme, et correspond aux besoins réels de la société, fournissant un fondement axiologique pour maintenir harmonieusement un équilibre entre la masse et les élites; la mystification déployée comme écran devant une société en déclin ou un appareil politique figé est mani­pulation.

 

La politique est donc un lieu privilégié de la fiction, une fiction qui assure un équilibre des forces en jeu entre la masse et les élites. Pareto, pessimiste, méprise la démocratie parlementaire qui oblitère les spon­tanéités populaires, y compris quand elle prévoit le plébiscite (qui est une action de violence masquée par la légalité). Ce mépris marque une rupture radicale avec la conception optimiste du contrat social, domi­nante au 19ième siècle, et avec le positivisme d'un Auguste Comte. Ce dernier pensait que l'on pouvait obtenir une connaissance rationnelle de la société, or celle-ci se développe imprévisiblement: elle est un organisme en quête d'un équilibre et, en tant que telle, elle se soustrait à tous les calculs que libéraux, optimistes, positivistes, eudémonistes, progressistes, etc. ont cru benoîtement être des lois immuables dans le fonctionnement des sociétés humaines, en tous temps et en tous lieux.

 

Le pessimisme de Pareto interdit les jugements de valeur simplistes. Quand une élite nouvelle renverse une élite caduque ou moisie, cela ne signifie pas qu'elle est moralement meilleure: plus simplement, elle fonctionne mieux au moment où elle accède au pouvoir. Elle incarne une rupture avec l'ancienne culture dominante et ses traditions. La théorie parétienne de la circulation des élites permet de penser un équi­libre dynamique, une médiation qui, si elle est acceptée comme telle, empêche un bouleversement pa­roxystique et total de la société. Si les gouvernants acceptent la théorie de la circulation des élites et donc la caducité graduelle de tout pouvoir, ils coopteront et accepteront à leurs côtés les représentants des challengeurs, induisant de la sorte une rotation souple des élites. Les élites n'ont donc jamais duré au cours de l'histoire; elles ont pris le pouvoir dans leur phase de jeunesse, elles se sont usées en cours de maturité et elles ont sombré dans leur phase de vieillesse.

 

Pareto est toutefois inquiet en voyant s'installer le pouvoir de l'argent, la ploutocratie. L'économie omni­présente vide toutes les relations sociales de sens, elle détache les hommes de la religion, des traditions, des histoires nationales, toutes instances qui conférent du sens et à l'intérieur desquelles s'opéraient les contestations amenant les changements de pouvoir. La disparition des instances porteuses de sens va figé les processus de circulation et de rotation des élites.

 

(cf. Origini,  n°11, textes consacrés à Pareto et édités sous la direction d'Enrico Galmozzi; disponible à l'adresse belge de “Synergies”, prix: 25 FF ou 150 FB, port compris).

vendredi, 27 mars 2009

Revolutionary Conservative: Interview with Jonathan Bowden

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REVOLUTIONARY CONSERVATIVE:

INTERVIEW WITH JONATHAN BOWDEN

Interviewed by Troy Southgate - http://www.rosenoire.org/

REVOLUTIONARY CONSERVATIVE: INTERVIEW WITH JONATHAN BOWDEN As conducted by Troy Southgate

Jonathan Bowden is the Chairman of the New Right and a man I am proud to regard both as a like-minded spirit and a friend. The following interview was conducted in the summer of 2007.

Q1: Your family background is a heady mix of Irish and Mancunian and you were brought up in rural Kent. Would you say that any of this helped to shape your intellectual development in any significant way?

JB: One’s origins obviously influence the way everything turns out in the end. I actually spent many of my formative years in the south Oxfordshire countryside, but I do admit that the Kent coast offers a certain draw. I was born in Pembury maternity hospital in mid-Kent in 1962 and the family later branched out into Bearstead after that. I remember a blue Volkswagen beetle, an extremely low-lying bungalow, roundabouts, that sort of thing… it was all very middle-class. I especially recall a Gothic moment from my own childhood; it concerned a mad woman or witch who lived up the way. She seemed to be a sort of Grendel’s mother – you know the kind. Anyway, rumour had it that she used to sit stark naked behind her letter box, dressed only in a black balaclava helmet, and any woman passing by would then be subjected to ferocious abuse. Scatology wasn’t the word for it, if you take my drift. Then, after a certain time had elapsed, the police would be called and she’d be sat there, dressed up to the nines, with cream teas and all the rest of it. It was essentially an elaborate attempt to flirt with, seduce or just fraternise with the local policemen. Then, as soon as they’d departed and she’d promised to behave, our wired sister would be back at the letter box fulminating. All other women were the object of her hate. No feminist sisterhood in evidence there, then. Its sexual hysteria and related screamings – I remember it all as if it were yesterday. My mother was terrified of her. We always had to go round the other way. Gothic or macabre things like that have always intrigued me – it’s the hint of chaos underneath bourgeois suburban conformism, you see. Life – when you stop to consider it – is really a painting through which people articulate their own death. What interests me is the artistry to it; it’s what our forebears, the Elizabethans, used to call the skull beneath the skin.

Q2: A few years ago now, you published a series of books under a different name. Tell us more about the themes involved and what you were trying to achieve at the time.

JB: Yes, I admit that your question is along the right lines. I’ve written a great deal down in the years and under various names – one of them happened to be John Michael McCloughlin, as I recall. I’ve certainly written between thirty and fifty books – depending on how you choose to look at it. At one level I’ve composed purely for myself – fiction, plays, non-fiction, memoirs, belle lettres, higher journalism, lyrics, prosody, experimental or stream-of-consciousness work, you name it. At present it’s all beginning to appear on the internet. My website – www.jonathanbowden.co.uk – contains one full manuscript. It’s an e-Book in PDF format. It’s entitled Apocalypse TV and consists of at least 100,000 words. It’s approximately 240 pages. A Platonic dialogue between a Christian and a pagan voice, it deals with Turner Prize art or the “Sensation” exhibition, criminology and the murders of Fred and Rose West, the concept of Political Correctness, all sorts of things. A short story, A Ballet of Wasps , also exists on the site. Hopefully – and before too long – a great deal of material will appear in this way. It’s essentially got to be scanned, edited, converted to PDF and then uploaded. A play which you have read, Troy, called Lilith Before Eve , has recently been added to the site. The following three short stories, Golgotha’s Centurion, Wilderness’ Ape and Sixty-foot Dolls , will appear relatively soon. There are also four more plays known as Glock’s Abattoir, We are Wrath’s Children!, Evolution X and ,i>Stinging Beetles, for example. Ultimately, one of my life tasks is to put all of it online and then see if publishers, small outfits, that sort of thing, would be willing to do hard copy versions. One point of interest: the publisher Integral Tradition Publishing has expressed an interest in possibly treating Apocalypse TV in the way I describe – although whether this will ever extend to a desire to publish full novels of mine, such as Al-Qa’eda Moth or The Fanatical Pursuit of Purity, is altogether another issue. But, rest assured, I will bring out everything I’ve ever done over time, even if it’s only in e-Book form on the internet. Politics is just a side-line, you see; artistic activity is what really matters. The one alters effects; the other changes the world. As Bill Hopkins once told me, one man sat writing alone in a room can alter the entire cosmos. It’s the ability – through a type-writer or whatever else – to radically transform the consciousness of one’s time. Cultural struggle is the most interesting diversion of all. There’s a Lancastrian truism that my mother retailed to me: “truth is a knife passing through meat”. Well, in this particular freeway one special coda stands out – you must become your own comet streaking across the heavens – all else is just a matter of flame, spent filament, rock or tissue, en passant, which slopes off to the side. Avoid those stray meteor shoals casting off to one’s left; they are just the abandoned waifs and strays of a spent becoming. Let your life resemble a bullet passing through screens: everything extraneous to one’s task recalls such osmotic filters. (I’d especially like to thank Daniel Smalley and Sharon Ebanks for their manifold assistance with these websites. Sharon’s earlier contribution was the following: www.jonathanbowdenart.co.uk). Do you wish to survey something I’ve just written? It’s a bit of a prosody based on a Futurist painting by Fortunato Depero called Skyscrapers & Tunnel (1930).

Do they make the most Of a tubular scene-scape Designed without cost And collapsing into date Crepe rape spate fate constant ingrate?

Q3: Please tell us how you came to be involved in the Western Goals Institute, a vociferously anti-liberal and anti-communist tendency which originated in 1989 as an offshoot of the American ultra-conservative group of the same name.

JB: Yes, the organisation known as Western Goals was a bit of a shape-shifting entity – it began as Western Goals UK and then transformed itself, eventually, into the Western Goals Institute. Later still it recomposed itself into the British chapter of the World League for Freedom and Democracy; a group which, as it didn’t believe in either freedom or democracy, was rather amusing. I gave them my support – I was actually deputy chairman for a while – because I agreed with a merciless prosecution of the Cold War. Right-wingers of every type and race aligned across the globe against communism. The war had to be fought tooth and branch. I essentially concurred with Louis Ferdinand C’eline’s mea culpa about Marxist-Leninism – after having toured the Soviet Union on the proceeds of Journey to the End of the Night and Death on Credit. Don’t forget that the third world war, to use a different nomenclature for the Cold War, proved to be an alliance between Western hawks or rightist liberals and neo-fascism across the Third World. Groups like Unita, Renamo, Broad National Front (FAN), the Triple A, the United Social Forces, The Konservative Party and HNP, the Contras and Arena – never mind Ba’athism… all of these tendencies were Ultra in character. Had they all been Caucasian in profile, such groups would have seemed indistinguishable from the OAS or VMO. It was vitally necessary to delouse those “communist peons of dust”… to adopt a line from a stanza by Robinson Jeffers. I have always believed with Mephistopheles in Goethe’s Faust, whether paraphrased by Sir Oswald Mosley or not, that in the beginning there is an action.

Q4: Shortly afterwards you founded the Revolutionary Conservative Caucus with Stuart Millson. What were the reasons behind the establishing of this group and, realistically, how much do you think it managed to achieve?

JB: Ah yes, the Revolutionary Conservative Caucus and all that jazz. Where have one’s salad days gone? Anyway, the RCC was set up by Millson and myself as a cultural struggle tendency. Never really conservative, except metaphysically, it wanted to introduce abstract thought into the nether reaches of the Conservative and Unionist party – an area habitually immune to abstract thought, possibly any thought at all. There have always been such ginger groups – Rising, National Democrat and later Scorpion, Nationalism Today, Perspectives, the European Books Society, the Spinning Top Club, the Bloomsbury Forum and now the New Right. The important thing to remember is that these groups are fundamentally similar – irrespective of distinct semiotics. The system of signs may jar, but, in truth, all of them are advocating radical inequality and meaning through transcendence… that’s the key. As to accomplishments or achievements… well, they were really twofold: first, the mixing together of ultra-conservative and neo-fascist ideas; second, a belief in the importance of meta-politics or cultural struggle. By dint of a third or more casual reading, various publications like Standardbearers , Oswald Spengler’s essay Man & Technics , the ‘Revolutionary Conservative Review’, a brief and intermediate magazine called Resolution and the ultra-conservative journal Right Now… all of these formulations came out of this nexus. It’s a creative vortex, you see? Let’s take one example: my interview with Bill Hopkins in Standardbearers… this links right back to the fifties Angry Young Men and to Stuart Holroyd’s productions in Northern World, the journal of the Northern League. This interconnects – like Colin Wilson writing for Jeffrey Hamm’s Lodestar – with not only Roger Pearson but also the fact that members of the SS were in the Northern League.

Sic cum transierint mei Nullo cum strepitu dies Plebeius moriar senex. Illi mors gravis incubat Qui notus nimis omnibus Ignotus moritur sibi.

It’s this which has to be avoided.

Q5: Your first association with the New Right was as a guest speaker at the very first meeting in January 2005. What made you want to become more involved with the group and what role do you think it can play in the future?

JB: I became involved because of a residual respect for what the New Right and GRECE were trying to achieve. For my own part, this has something to do with the fact that the New Right wishes to bring back past verities in new guises. It ultimately recognises an inner salience; whence the Old Right enjoyed a Janus-faced discourse: whether esoteric or exoteric in character. Do you follow? Because the outer manifestation tended to be conspiratorial, however defined. Whereas the innermost locution rebelled against old forms, postulated a Nietzschean outlook and adopted a pitiless attitude towards weakness in all its forms. Irrespective of this, the New Right recognises that fascism and national-socialism were populist or mass expressions of revolutionary conservative doctrines. Indeed, the Conservative Revolution is tantamount to Marxism on the other side: the truth of the matter is that Evola, Junger, Spengler, Pound, Moeller van den Bruck, Bardeche, Revillo P. Oliver, Rebatet, Brasillach, Jung, Celine, Wyndham Lewis, Yockey, Bill Hopkins and Arthur Raven Thompson, say, are actually to the right of their respective political movements. It’s the same with the extreme left on the other side – whether we’re talking about Adorno, Horkheimer or Althusser. Who’s ever really read Sartre’s The Dialectic of Critical Reason? As to any influence our group might have… well, perhaps it would be best to put it in this manner. I think that the New Right can prove to be a nucleus for illiberal thinking, albeit of a revolutionary and conservative character. Take, for example, Tomislav Sunic’s thesis, Against Democracy; Against Equality – a History of the European New Right. In this purview it becomes obvious that the Conservative Revolution was the seed-bed or think tank for fascism and national-socialism, much in the manner that theoretical Marxism was for communism. In the latter’s case, one only has to think of Adorno and Horkheimer’s The Dialectic of Enlightenment as the forcing house for ‘sixties revolutionism – far more, say, than Marcuse or the Situationists. Percy Bysshe Shelley, in Paul Foot’s terms Red Shelley, once described poets as the unacknowledged legislators of mankind. But, in all honesty, if we were to substitute the word intellectual or philosopher for poet then you might be nearer the mark. (All of which isn’t to take away for a moment the impact of poets like Kipling, Robinson Jeffers or the blind and recently deceased bard John Heath Stubbs, for example). Yet, I say again, one thing that we must deliberate upon is the power of conception. A man who possesses an idea or a spiritual truth is the equivalent of fifty men. Every pundit, tame journalist, academic or mainstream politician is mouthing hand-me-down ideas from a philosopher of yesteryear. At one level artists and intellectuals have no power whatsoever; undertake a parallax view or examine it in a reverse mirror, then you will see that they are matters of the universe. For those who have heard of Mosley, Degrelle, Jose Antonio Primo de Riveria, Mussolini, even at a push Julius Caesar; figures of Bardeche, Thomas Carlyle, Spengler and Lawrence R. Brown will remain forever arcane and mysterious. But fate’s mysterious witching hour knows that you can never have one without the other.

Q6: How did you reconcile your role as Chairman of the New Right, a self-proclaimed elitist and anti-democratic group, with your former position as Cultural Officer of the British National Party (BNP)?

JB: I feel that there was no great contradiction between the New Right and the British National Party. It’s a conundrum that revolves around the exoteric-esoteric fissure mentioned before. The British National Party is a populist or nativist group – it currently has about fifteen percent electoral support across Britain. No campaign and one leaflet garners a tenth of votes. Any sort of campaign nets 15%+; whereas a full-on methodology, Eddy Butler style, can get up to a fifth or a quarter of the vote. Bearing in mind that England is now fifteen per cent non-white then these margins represent an even higher proportion of Caucasia. Given this, the party represents a plebiscitary wing, the organisation’s inner spine are (for the most part) traditional nationalists; whereas their mental fodder needs to be provided by groupings like the New Right. Hierarchically speaking, the new reformats the old, albeit with a new cloak. Let’s put it this way: New Right sensibility sublimates Julius Evola’s The Metaphysics of War into Nietzsche’s The Will to Power. You have to understand that on the doorstep a small proportion of electors can vaguely recollect what country they’re living in… never mind anything else. Philosophy blinds them to a dance of sharp-toothed wolves. My, what large teeth you have, Granny – said little Red Riding Hood. Never mind: the real point is to achieve transcendence or becoming. Let’s begin with Voice of Freedom turning into Identity, inter alia, which leaps upwards to New Imperium – a step to the side of which might really be Bill Hopkins’ essay, Ways Without Precedent, in the volume of essays which served as the Angry Young Men’s manifesto. It was called Declarations. Yet perhaps even a step beyond this actually exists. Doesn’t one of Elisabeth Frink’s sculptures of a Soldier’s massive cranium – or one of her Goggle-heads, perchance – indicate a move ahead into aesthetic puissance? Everything that exists is about to transmute into a superior variant, an intellectual and spiritual speck of light which exists over it. As a BNP activist who’d been electioneering in the streets of East London once told a journalist; “If there’s nothing above you then there’s nothing to aspire to”.

Q7: Is there any real difference between the natural ascendancy of the strong over the weak – a recurring theme in your speeches – and the ruthlessness of capitalist economics?

JB: Again, as before, my answer has to begin and end with a postulation of hierarchy tout court. Do you see? It all has to do with the fact that economics is the lowest level of social reality. It remains purely material. Despising it is no good; what you have to do must be to effectively transcend it. The neo-utilitarian economist, Arthur Marshall, who was active at the turn of the twentieth century once famously described his subject as the dismal science. Just so… literary-minded types have always preferred belletrists of finance, whether J.K. Galbraith or Hilaire Belloc’s Economics for Helen. What you need to do is accept the market as the basis for a national economy that will be mainly privately owned, as Tyndall advocated in the Eleventh Hour, and then impose implacable political ethos on it from above. Politics must master economics; businessmen must be made to be spiritually subordinate to spiritual verities: the supreme expression of which is Art. Money then serves higher interests to which it is beholden – not the other way around. In all vaguely autocratic systems the economy operates in the way I’ve described. Ultimately you have to teach people not that money is the root of all evil – that’s purblind Biblical moralising – but that capital proves to be little more than fuel. To start up your car you need to put the key in the slot. Economic activity then has to serve the national community – not the reverse. As to the alleged ruthlessness of capitalist economics – that’s largely Darwinian romanticism. Does an eagle suffer from pity as it tears its prey to pieces in the stump of a tree? Anyway, do you really suppose that we have an unfettered market after over a century of state intervention or social democratic manipulation of its mechanisms? The only real success the far-left’s ever had was to provide shot-gun marriages for statist institutions in the West. New liberals designed pension, health, credit, insurance and social housing schemes in order to buy off proletarian rebellion from below. It owed as much to the far-right as the accredited Left – hence Skidelsky’s hero-worshipping of Mosley in his biography of that name. (This author moved from being right social democrat to a left conservative at a later date). Likewise, Sir Oswald Mosley’s New Party contained Marxian economists and social commentators like John Strachey – later to be Minister of Food in the post-war Labour government. The real point has to be the metaphysical guiding post behind Mosley’s post-war treatise, The Alternative. Subordinate economics to the meaning of politics not its management. The whole point of a political class is to impose a morality on the market – as Heseltine, of all people, once said, market economics has no ethical system otherwise. Von Hayek’s methodology of the implicit moral goodness of markets (because self-correcting) is flawed. But de Benoist’s attack on an advocacy of jungle law – whether directed at von Mises, Hayek, Friedman, etc… falls sheer. Why so? Because all that’s wrong with primitivism, brutalism and what Ragnar Redbeard called Might is Right has to be an absence of culture. That’s the salient point to remember. No Sistine chapel ceilings would ever have been painted without a systematic metaphysic to master gold. Put it in its proper place, why don’t you? Yet you can only do so after its creation. In this custodianship Sir Digby Jones, the former director general of the CBI, has to find himself subordinated to the manifestation of those eight symphonies by Sir Peter Maxwell Davies.

Q8: How ‘new’ is the New Right?

JB: It is clear to me that the New Right is diverse and diachronic in form. Like the refracted sides of a cerulean gem it casts many different slants afoot. All of these shimmer and break against a dark glass. To be truthful, the biggest disjunctions between old and new have to do with reductionism, conspiracy and revisionism. The old accepts the first two categories and could be said to have reformulated itself by virtue of the third. Perhaps we could go as far as to say that Revisionism is the reworking of the Old Right in modern guise – revisionist literature could then be considered to be the Old Right’s research and development. Just so… maybe Butz, Samning, Steiglitz, Baron, Berg, Harry Elmer Barnes, Rudolf, Mattogno, Graf, Faurisson, Zundel, Rassinger, Joachim Hoffmann, Heddessheimer, et al, are really Maurras, Weininger, Brasillach, Drieu la Rochelle, Celine, Barres, Revilo P. Oliver, Yackey, Ezra Pound, Jack London and Rossenberg… all come round again. I think, in these circumstances, that the New Right is a differentiated codex or semiotic – it enables a great deal of radical conservative material to return, maybe in a new guise. Although another point should be made, in that ultra-Right movements tend to have an occult trajectory. They manifest two sides: the esoteric and the exoteric. This can be considered to be a polarity between internal and external. For the masses Jean Respail’s Camp of the Saints or Christopher Priest’s Fugue for a Darkening Island; for the elite Count Arthur de Gobineau’s Essay on the Inequality of the Human Races . To quote yet another example – for mass taste Kolberg or Der Ewige Jude; for elitist consumption Leni Riefenstahl’s Olympia or the Italian film industry’s version of Ayn Rand’s We the Living. Even Hans Jurgen Syberberg’s seven hour epic, Hitler: a Film from Germany, strives for neutrality in an area where only negative partisanship is allowed. In this context Steukers, Sunic, Gottfried, De Benoist, Walker, Lawson, Krebs and so forth, are the inner elitism or vertical dimension amidst a general carnival. They are less the meat in the sandwich than the inner pagan and non-humanist core to ideas which the residuum cannot grasp unless they are put in a more basic form. It must only be true the less it is understood, in other words… By virtue of our silk-screening, reductive and metaphysical conspiracies are materialisms. They are explanations on a physical level. New Right discourse internalises and sublimates this doxa; it circulates it as spiritual velocity. Aesthetically speaking, what can be transmuted – for a philistine or mass public – as Max Nordau’s Degeneration becomes Ortega Y Gasset’s The De-humanisation of Art at a more advanced illustrative push. Perhaps, even as a reverse dialectic, Wyndham Lewis’ The Demon of Progress in the Arts provides an overlapping negation to Y Gasset’s thesis – all prior to a new or renewed synthesis. Ethnically speaking, one might aver that The Turner Diaries amount to the outside face of the Bell Curve’s Junction. Artistically again, doesn’t Ayn Rand’s The Fountainhead provide a fusion, in mock-libertarian guise, of internal and external messages in a bottle? Whereby the heroic modernist Roark – based loosely on the living example of Mies van der Rohe – overlaps with the neo-classical sculptor ‘Steve’. A character which was loosely based on Gustav Thorak, an artist who’s heroic figurine, Atlas, outside the grand central station in Chicago influenced Ayn Rand’s last right-anarchist novel, Atlas Shrugged. I would go so far as to say that the New Right is a toxic cerebration to the Old Right’s fist: in musical terms it’s Screwdriver becoming Laibach and then morphing into Carl Orff. But isn’t Verese’s noise brought back into focus by Igor Stravinsky’s The Right of Spring? After the performance of which – the master Stravinsky had to be guarded at his concerts, like a prize fighter. Diaghilev strove to remain highly jealous throughout.

Q9: You have a keen interest in Modernism. Why does this form of artistic expression appeal to you most and what, in your opinion, makes Modernism so superior to Modern Art?

JB: Ah yes, the issue of Modernism… I’m an ultra-rightwing modernist, let’s make that clear. Even though some of my work is traditional, restorationist, historical and semi-classic in spirit… nonetheless, I’m a modernist, even on some occasions an Ultra-modernist. Let’s be definite about this: some of my pictures do relate to Bosch, Redon, Klimt, Bacon, Pacher, ancient Greek sculpture and so on, but primarily I wish to create new and ferocious forms. They must come from within; what you really require is an image the like of which no-one has ever seen before, even dreamt of prior to your conception. Bacon always declared that he wanted to paint the perfect cry, after the fashion of the nurse on the steps facing the White Guards in Battleship Potemkin. I never wished to paint the greatest scream a la Poussin’s Massacre of the Innocents. No. For my part, I wanted to paint the most ferocious image of my time – these works are not neurotic, paranoid, schizoid, disturbed or mentally ill, as some might suggest… they are passionate integers of fury. The effort is to project strength and power. One cares nothing for the aesthetic standards of the masses; they are children who only like what they know or feel comfortable with. What really matters has to be the ecstasy of becoming – early or classic modernism happened to be exactly that. It was an attack on sentimentality; it proved to be an art purely for intellectuals. It was anti-humanist, elitist, inegalitarian, vanguardist, misanthropic, sexist, racist and homophobic – all good things. It gave witness to the neo-classic bias within the Modern that related to the theories of T.E. Hulme, a revolutionary conservative, and Ortega Y Gasset, a mild fascist. In the latter’s Dehumanisation of Art he preaches a new style against the Mass – that notion has always intoxicated me; to trample upon the masses and synthesise them into a new evolutionary surge has to be our object. The failure of extremist conservatism, fascism and national-socialism was material; revolutionary right-wing ideas may only really flourish spiritually: art has to be its vehicle; the stars its limit… homo stultus, the putty. Early modernism found itself penetrated by these ideas… only much later did it become a vehicle for liberal humanism. A move which in and itself related to the academic, restorative and conservative aesthetic tendencies in Soviet and Nazi art. One of the ironies is that revolutionary art becomes liberal wall-paper; while revolutionary movements adopted philistinism as their watchword. Their anti-formalism became a rigid fear of upsetting the majority. Art partly exists to disturb expectations, but liberal anti-objectivism has gradually dissolved this influence. An image like Tato’s March on Rome becomes more and more diffuse… until you end up with a David Hockney sketch, a Yorkshire scene bathed in light, and adorning a corporate office anywhere in the world. But let’s not fall into the trap of talking about the revolution betrayed – that’s such a bore. Also, revolutions are always betrayed; that’s their purpose. It’s only then that we recognise the salient truth: namely, they are part of life’s warp and weft. They have to be taken - to use Truman Capote’s axiom – in Cold Blood. A dilemma which brings us to the exposed issue of post-modernism, I dare say.

Q10: A talented and accomplished artist, you have produced over 200 paintings of your own. What first motivated you to take up painting, and how would you describe your own inimitable style?

JB: Unlucky for some, eh? Well, let’s look at it in this way… between around six or thirteen years of age I used to draw comics or graphic novels. They were my first form. Around two thousand images definitely came into the world as a consequence of these endeavours. They were my first love, I suppose – primarily due to their combination of words and images. A factor which also accounts for my interest in the graphic, the horrific or Gothic, the linear and the pre-formed. Contrary to the desiderata of pure modernism, in graphic work you always know where you’re going but not necessarily where you intend to end up. After a brief gap – grammar school and so on – I started to produce images again. Yet now a subtle change had taken place. The pictures underwent a metamorphosis into full-scale paintings and over around thirty years have mounted up to at least 215 works. Some of the early ones are framed; others not. Around 175 or 177 (depending) are available for viewing on my website (www.jonathanbowden.co.uk), sundry sketches and preliminaries will follow… and the coup de gras shall be those graphic novels which await scanning and upload at a later date. Personally speaking, I find them to be captivating in their allure. They are extremely varied in their focus – some are ferocious, savage and expressionist; others are erotic, playful and sensual; still more have a classic, restorationist or historical bias; while the remainder embody autobiographical and ideological themes. Some pertain to child art or the ramifications of Art Brut: that is, a willing or known primitivism in terms of artistic silence. Certain other paintings are literally portraits of people known to me; whilst early on I experimented with the psycho-portrait – here you illuminate a person’s nature and not their looks. Although eschewing abstraction – unlike Norman Lowell – I’ve never been interested in pure representationality after the invention of photography to do it for you. Do you recall those nineteenth century series of photographs by the master Edward Muybridge? He was one of the great pioneers of slow-motion, frame by frame photography when this art or science was in its infancy. A sequential art motif featuring two men engaged in Graeco-Roman wrestling has to be an early classic. These images in particular had profound influence on Francis Bacon’s oeuvre. Anyway, if we examine it closely then this tradition splits several ways. It leads to the strip cartoon, the cartoon or funny, comics and the story board – a development that prepares the ground for early silent cinema. So inter alia, the fantastical and linear presentation of action becomes art’s necessity. All of which involves going inside the mind so as to furnish provender – imagination then facilitates change, transmutation, forays from within and the custody of inner space. An eventuality which portends Modernism – why don’t you think of me as a heterosexual version of Francis Bacon? Maybe you could construe yourself, Troy, as the famous critic David Sylvester with whom Bacon had a well-known artistic dialogue in Plato’s tradition. Thames and Hudson published it years ago.

Q11: In his recent book, Homo Americanus, the Croatian author Tomislav Sunic notes that “postmodernity is hypermodernity insofar as the means of communication render all political signs disfigured and out of proportion.” (p.150)? What is your view on post-modernism and hyper-modernism?

JB: I actually question whether the concept of hyper-modernity actually exists, but we don’t want to end up in a cul-de-sac of meaning and response. By no means… Do you happen to recall that story by H.P. Lovecraft, Pickman’s Model, where the artist’s baying creature at the end of various Old Bostonian tunnels was taken from life? That’s the point… Anyway, in Tomislav Sunic’s Homo Americanus, which I have to admit that I had a hand in editing, he makes a situational point about post-modernism. Note: Situationism was a literary theory of excess, somewhat ‘terrorist’ in spirit, which grew out of a fragment of late surrealism. Its chief text was Guy Debord’s The Society of the Spectacle. Certainly the notion of a twenty-four hour media circus which penetrates everything, cyclonically, has come to be seen as a cliché. Nowadays , a thinker like Jean Baudrillard just tidied up post-modern excess and evinced an ironic distance over any attachment to left radicalism. Post-modernity is really about patterning. It’s an Asiatic or Oriental deportment; one in which displaced tarot cards are endlessly displaced and new meanings then become attached to them. It self-consciously adopts a mosaic’s inflexions, but variously complex or contradictory currents enter into the mixture here. Yet misnomers abound: Stravinsky’s neo-classicism early on in the twentieth century is definitely post-modern in feel… yet historically it can hardly be described as such. Whereas an extremist modernist text written after the Second European Civil War by Samuel Beckett, Comment C’est (How It Is), could be delineated as a post-modern elixir. In it two forms – vaguely reminiscent of the actors Patrick Magee and Max Wall – drag themselves across plateaus of mud towards an uncertain future, mouthing imprecations all the while. Also, there is a complicated interaction between post-modernist diction and historical revisionism over the Shoah. Its extreme relativism, metaphysical subjectivism and heuristic bias lend itself to micrological analysis, rather like Kracuer’s estimation of the German film industry. Nonetheless, the hermeneutical pea-souper which clings to Paul de Mann’s Blindness & Insight definitely has something to do with his own partiality for writing on behalf of Leon Degrelle-like journals during that conflict. Paradoxically though, deep textual analysis or criminological fare, rather like Faurisson’s exegesis, can quite easily dovetail itself with Thion’s post-structuralism, whereby all media certainties become questionable. As to hyper-modernity, what can one say? Perhaps it relates to the mass media’s electronic self-consciousness – the self-consciousness of its own self-consciousness, if you like. Now post-modernism truly behaves like a serpent devouring its tail, or the Worm Ouroborous. It also betokens those cinema audiences in the ‘fifties, metaphorically, who sat in darkened flea-pits watching in X-Ray specs. Possibly hyper dims post-modernity, if only to provide its apotheosis and defeat. A chimpanzee sits before a Sony Playstation playing a Gulf War game with News 24 alive in the background… maybe the latter scenes in Pierre Boulle’s novel, Monkey Planet, have a certain salience. Particularly when these gestures are interestingly spliced with Christopher Priest’s racialist science-fiction novel, Fugue for a Darkening Island… the one with a piece of Ploog-like fantasy art on the cover. A neglected work – it nevertheless intones values similar to those of a British Camp of the Saints. The point to make throughout all of this, however, is that culture cannot just elicit a significatory response. It must entertain an essentialist or organic bias (even in its existential mists) – otherwise it’s meaningless. One can then look forward to conceptual art replacing an art of concepts; wherein Stewart Home’s interpretation of Manzoni’s cube smears over Kipling’s The Stranger.

Jonathan Bowden may be contacted in writing via BCM Refine, London WC1N 3XX, England.

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mercredi, 11 mars 2009

A propos du décisionnisme

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ARCHIVES DE SYNERGIES EUROPEENNES - 1995

A propos du décisionnisme

 

Le décisionnisme est, comme son nom l'indique, une pensée en termes de décision. Le décisionniste est l'homme politique qui veut décider, aboutir à une décision, c'est-à-dire à un acte de volonté qui a ses res­sorts en lui-même et qui est vierge de toute compromission. Le décisionniste, en conséquence, s'oppose à toutes les formes de compromis que permet le libéralisme. Carl Schmitt, catholique et conservateur, est sans nul doute celui qui, parmi les tenants de la “révolution conservatrice”, a pensé le décisionnisme de la manière la plus conséquante. Chez les penseurs nationaux-révolutionnaires de la même époque, on trouve également des décisionnistes.

 

Pour Carl Schmitt, ce qui est important, c'est «que dans la simple existence d'une autorité réellement au­toritaire, il y ait de la décision, et que toute décision soit valable et valide, car dans les choses les plus essentielles [du politique], il est plus imoportant de savoir que quelqu'un décide, que de savoir comment cette décision est décidée» (1). Il s'agit donc de poser une “décision” en soi, en pleine souveraineté. L'Etat, à l'époque de Carl Schmitt, du moins dans le domaine du politique, est le moyen le plus approprié pour poser de telles décisions; c'est lui qui incarne la souveraineté qui est, en fait, rien d'autre que le “monopole de la décision” (2). Il s'agit de reconnaître le bien-fondé, l'utilité pratique, l'excellence, de la décision absolue, c'est-à-dire de la décision pure, non raisonnée, qui n'est pas le produit d'une discus­sion, qui n'a nul besoin de se justifier, qui jaillit du néant (3). L'essence de l'Etat apparaît ici clairement, parce qu'il est le vecteur premier de la décision, devient de la sorte le moyen le plus précieux pour contrer, à l'intérieur, la guerre civile que déclenchent les idéologies et les intérêts contradictoires. «L'essence de l'Etat réside en ceci, qu'il y ait [par lui] une décision» (4).

 

La particularité de Carl Schmitt, dans le cadre de cette “révolution conservatrice” mise en exergue par Armin Mohler, c'est, qu'en tant que penseur catholique, il voit toujours Dieu trôner au-dessus de tout. D'où son constat: «Tous les concepts prégnants des doctrines modernes de l'Etat sont des concepts théolo­giques sécularisés» (5). Toutefois, le Règne de Dieu n'est pas de ce monde, où c'est l'homme qui gou­verne, où c'est l'homme qui est le fondateur des valeurs. Mais comment réalise-t-on concrètement les valeurs, comment établit-on les lois? Schmitt ne cesse de citer l'Anglais Thomas Hobbes, en acceptant ses théorèmes: «Auctoritas, non veritas facit legem» (6). L'autorité est la source des lois, car le pouvoir lui en donne la force, c'est elle qui pose les décisions qui génèrent les lois. C'est au départ de cette con­ception de Hobbes, que la “révolution conservatrice” allemande a opté pour les systèmes autoritaires, parce qu'ils éliminent les querelles intérieures et les bannissent de la “communauté organique”.

 

Chez les nationaux-révolutionnaires, que Mohler classe aussi dans la “révolution conservatrice”, il y a donc aussi des décisionnistes. Le concept de décision a fasciné cette gauche non-conformiste, si bien que l'hebdomadaire du mouvement “Widerstand” (= Résistance) d'Ernst Niekisch portait le titre d'Entscheidung (= Décision). Ce n'est pas un hasard. Chez Niekisch, par d'arrière-plan théologique, au contraire de Schmitt. Le décisionnisme de Niekisch découle d'une position fondamentaliste absolue. Niekisch exige la “décision permanente”, car l'“idéologie de Widerstand” équivaut à une “protestation al­lemande” contre le “romanisme”, à une option pour l'Est contre l'Ouest, pour l'éthique prussienne du ser­vice contre le libéralisme (7). Cette protestation tous azimuts, incessante, permanente, exige, selon Niekisch, une “nouvelle attitude humaine”, une promptitude à accepter et à supporter un “destin hé­roïque”. Pour généraliser cette attitude contestatrice permanente, il faut recruter des hommes qui soient “déjà saisis par l'esprit du futur” (8). Niekisch accuse et brocarde l'éternelle indécision allemande: «Il existe une lenteur, une lourdeur, une faiblesse typiquement allemandes, qui, sans cesse, cherche, en louvoyant, à échapper à la décision nécessaire» (9). Mais le devoir éthique de trancher, donc de décider, de prendre littéralement le taureau par les cornes, personne ne peut l'éviter, le refuser.

 

Sur le plan littéraire, l'exigence de décision se retrouve, à un degré de radicalité encore plus élevé, chez Ernst Jünger, qui, à cette époque, appartenait encore aux cercles nationaux-révolutionnaires, et était une figure de proue du “nouveau nationalisme”. Il écrivait: «C'est pourquoi cette époque exige une vertu entre toutes: celle du décisionnisme. Il s'agit de pouvoir vouloir et de pouvoir croire, sans se référer au contenu que cette volonté et cette foi se donnent» (10). Cet appel de Jünger est un appel à la “décision en soi”. Chez Jünger, la décision est couplée à un désir ardent de nouveauté, au désir d'une révolution, d'où les éléments de nihilisme ne sont pas totalement absents. Chez lui, la décision est toute imprégnée de l'esprit des “orages d'acier”: elle est quasi synonyme de “mobilisation totale”. «Notre espoir repose sur les hommes jeunes, qui souffre de fièvre, parce qu'ils sont dévorés par le pus verdâtre du dégoût, notre es­poir repose dans les âmes saisies par la grandezza, dans les âmes que nous voyons errer dans les si­nuosités de l'ordre des auges. Notre espoir repose en une révolution qui s'opposerait à la domination du confort, en une révolution visant à détruire le monde des formes, en une révolution qui a besoin d'explosifs pour nettoyer et vider notre espace vital, afin qu'il y ait la place pour une nouvelle hiérarchie» (11).

 

Le décisionnisme est en tant que tel une méthode, plus exactement une méthode de critique sociale, une méthode finalement assez proche de la théorie critique utilisée par les gauches nouvelles. Mais il peut bien entendu étoffer l'arsenal d'une nouvelle droite, qui devrait en être l'héritière et la continuatrice, car de larges segments de la “neue Rechte” allemande sont d'ores et déjà influencés par Carl Schmitt. En effet, la critique du déclin du politique à l'ère du libéralisme, formulée par Carl Schmitt en 1922, reste d'une éton­nante actualité: «Aujourd'hui rien n'est plus moderne que la lutte contre le politique. Les financiers améri­cains, les techniciens de l'industrie, les socialistes marxistes, les révolutionnaires anarcho-syndica­listes, s'unissent pour exiger que soit éliminée la domination immatérielle du politique sur la matérialité de la vie économique. Il ne devrait plus y avoir que des tâches organisationnelles, techniques, économiques et sociologiques, mais il ne pourrait plus y avoir de problèmes politiques. Le mode aujourd'hui dominant de la pensée économico-technique n'est déjà plus capable de percevoir la pertinence d'une idée politique. L'Etat moderne semble être vraiment devenu ce que Max Weber voyait se dégager de lui: une grande en­treprise. En général, [dans ce contexte libéral], on ne comprend une idée politique que lorsque ses te­nants sont parvenus à prouver à une certaine catégorie de personnes qu'elles ont un intérêt économique direct et tangible à l'instrumentaliser à leur profit. Si, dans ce cas d'instrumentalisation, le politique dispa­raît et sombre dans l'économique, ou dans le technique ou l'organisationnel, par ailleurs, il s'épuise dans les intarissables discours ressassant à l'envi les banales généralités que l'on ne cesse d'ânonner sur la “culture” ou sur la “philosophie de l'histoire”, discours définissant au nom de critères esthétiques l'air du temps tantôt comme classique, tantôt comme romantique ou comme baroque, en hypnotisant les “beaux esprits”. Ce basculement dans l'économique ou ce discours [“cultureux”], passe à côté du noyau réali­taire de toute idée politique, de toute décision qui, en tant que décision, est toujours d'une plus haute élé­vation morale. La signification réelle que revêtent en fait les philosophes de l'Etat contre-révolutionnaires, réside entièrement dans la dimension conséquente de leur démarche, laquelle repose sur la décision, [baigne dans l'incandescance de la décision]. Ces philosophes contre-révolutionnaires mettent si fort l'accent sur l'instant intense de la décision qu'ils annulent finalement l'idée de légitimité, à partir de la­quelle, pourtant, ils avaient amorcé leurs réflexions» (12).

 

Le déclin du politique découle de l'évitement systématique des décisions. La modernité passe de fait à côté de la décision essentielle, de la décision qui fonde le concept du politique, c'est-à-dire de la décision qui aboutit à la désignation de l'ami et de l'ennemi. «C'est ainsi que Carl Schmitt définit la modernité: elle est oublieuse du politique. Dans cette perspective, le communisme et le capitalisme apparaissent pour ce qu'ils sont: les deux pôles complémentaires d'une même positivité impolitique, qui constitue le terminus ad quem d'une objectivisation mécaniciste du social, à l'œuvre depuis le XVIIième siècle» (13).

 

Jürgen HATZENBICHLER.

(traduction française: Robert STEUCKERS).

 

Notes:

(1) Carl SCHMITT, Politische Theologie, Berlin, 1990, p. 20.

(2) Ibid., p.71.

(3) Ibid., p.83.

(4) Ibid., p.71.

(5) Ibid., p.49.

(6) Ibid., p.44.

(7) Ce nom dérive de celui du mensuel Widerstand, dirigé par Niekisch.

(8) cf. Uwe SAUERMANN, Ernst Niekisch und der revolutinäre Nationalismus, München, 1985, pp. 173 & ss.

(9) Ernst NIEKISCH, cité par Friedrich KABERMANN, Widerstand und Entscheidung eines deutschen Revolutionärs, Köln, 1973, p. 165.

(10) Ernst NIEKISCH, Widerstand, Krefeld, 1982, p. 164.

(11) Ernst JÜNGER, Das abenteurliche Herz - Erste Fassung, Stuttgart, 1987, p. 110.

(12) E. JÜNGER, ibid., pp. 113 & ss.

(13) C. SCHMITT, ibid., pp. 82 & ss.

mercredi, 11 février 2009

El cantor del nuevo mito - Giorgio Locchi revisitado

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El cantor del nuevo mito. Giorgio Locchi revisitado.

Adriano Scianca



“…sonaba, tan antiguo, y sin embargo era tan nuevo…”

Richard Wagner


Y por último llegó la “globalización”. En dos mil años de pensamiento único igualitario nos hemos tragado: la “inevitable” venida de los tiempos mesiánicos, el “inevitable” avance del progreso técnico, económico y moral, el “inevitable” advenimiento de la sociedad sin clases, el “inevitable” triunfo del dominio americano, la “inevitable” instauración de la sociedad multirracial. Y ahora, precisamente, es la globalización la que se impone como “inevitable”. El camino ya está trazado, nada podemos contra el Sentido de la Historia. Es cierto que la entrada triunfal en el Edén final es postergada de manera continua porque siempre surgen pueblos impertinentes que no aprecian los hegelianismos en salsa yanqui como los anteriormente citados. Pero, tarde o temprano- nos lo dice Bush, nos lo dicen los pacifistas, nos lo dicen los científicos, los filósofos y los curas- la historia llegará a su fin. Seguro. ¿Seguro?



¿El fin de la historia?

Es verdad: la historia, efectivamente, puede llegar a su fin. Es del todo plausible que en el futuro que nos espera se pueda asistir al triste espectáculo del “último hombre” que da saltitos invicto y triunfante. Pero este es sólo uno de los posibles resultados del devenir histórico. El otro, también este siempre posible, va en la dirección opuesta, hacia una regeneración de la historia a través de un nuevo mito. Palabra de Giorgio Locchi. Romano, licenciado en Derecho, corresponsal en París de “Il tempo” durante más de treinta años, animador de la primera y más genial Nouvelle Droite, fino conocedor de la filosofía alemana, de música clásica, de la nueva física, Locchi ha representado una de las mentes más brillantes y originales del pensamiento anti-igualitario posterior a la derrota militar europea del 45.

Muchas jóvenes promesas del pensamiento anticonformista de los años 70 conservan todavía hoy el nítido recuerdo de las visitas que hicieron a “Meister Locchi” en su casa de Saint-Cloud, en París, “casa a la que muchos jóvenes franceses, italianos y alemanes se dirigían más en peregrinaje que de visita; pero simulando indiferencia, con la esperanza de que Locchi (…) estuviese como Zarathustra con el humor adecuado para vaticinar y no, como desgraciadamente sucedía más a menudo, para que les hablase del tiempo o de su perro o de actualidades irrelevantes” (1). Las razones de tal veneración no pasan tampoco inadvertidas para quienes sólo hayan conocido al autor romano a través de sus textos. Leer a Locchi, de hecho, es una “experiencia de verdad”: tomemos su Wagner, Nietzsche e il mito sovrumanista – un “gran libro”, “unos de los textos clásicos de la hermenéutica wagneriana”, como lo define Paolo Isotta en el… ¡Corriere della Sera! (2)- uno se encuentra ante el desvelamiento (a-letheia) de un saber original y originario. Desvelamiento que no puede ser nunca total.

La aristocrática prosa de Locchi es, de hecho, hermética y alusiva. El lector es conquistado por ella, tratando de atisbar entre las líneas y de captar un saber ulterior que, estamos seguros de ello, el autor ya posee pero dispensa con parsimonia (3). A aumentar la fascinación de la obra de Locchi, además, contribuye también la vastedad de referencias y la diversidad de los ámbitos que toca: de las profundas disertaciones filosóficas a los amplios paréntesis musicológicos, pasando por las referencias a la historia de las religiones y por las audaces digresiones sobre la física y la biología contemporánea. Quien está acostumbrado a la atmósfera asfixiante de cierto neofascismo onanista o a los tics de los evolamaniacos de estricta observancia es raptado inmediatamente por todo ello.



La libertad histórica

El punto de partida del pensamiento locchiano es el rechazo de todo determinismo histórico, es decir, la idea de que “la historia- el devenir histórico del hombre- surge de la historicidad misma del hombre, es decir, de la libertad histórica del hombre y del ejercicio siempre renovado que de esta libertad histórica, de generación en generación, hacen personalidades humanas diferentes” (4). Es el rechazo de la “lógica de lo inevitable”. La historia está siempre abierta y es determinable por la voluntad humana. Dos son, a nivel macrohistórico, los resultados posibles, los polos opuestos hacia los que dirigir el porvenir: la tendencia igualitarista y la tendencia sobrehumanista, ejemplificadas por Nietzsche con los dos mitemas del triunfo del último hombre y del advenimiento del superhombre (o, si se prefiere, del “ultrahombre”, como ha sido rebautizado por Vattimo en el intento de despotenciar su carga revolucionaria). El filósofo de la voluntad de poder afirma la libertad histórica del hombre mediante el anuncio de la muerte de Dios: quien ha adquirido la conciencia de que “Dios ha muerto” “no cree ya que esté gobernado por una ley histórica que lo trasciende y lo conduce, con toda la humanidad, hacia una finalidad- y un fin- de la historia predeterminada ab aeterno o a principio; sino que sabe ya que es el hombre mismo, en todo “presente” de la historia, el que establece conflictivamente la ley con la que determinar el porvenir de la humanidad” (5).

Todo esto lleva a Locchi a identificar una auténtica “teoría abierta de la historia”. El futuro, desde esta perspectiva, no está nunca establecido de una vez por todas, ha de ser decidido constantemente. No sólo eso: tampoco el pasado está cerrado. El pasado, de hecho, no es lo que ha acaecido de una vez por todas, un mero dato inerte que el hombre puede estudiar como si fuese un puro objeto. Al contrario, es interpretación eternamente cambiante. El tiempo histórico, lo vamos viendo poco a poco, asume un carácter tridimensional, esférico, estando caracterizado por interpretaciones del pasado, compromisos en la actualidad y proyectos para el porvenir eternamente en movimiento. El origen mítico acaba proyectándose en el futuro, en función eversiva con respecto a la actualidad. Las distintas perspectivas que brotan de ello acaban chocando dando vida al conflicto epocal.



El conflicto epocal

El “conflicto epocal” se da por el choque de dos tendencias antagónicas. Ya se ha dicho cuales son las tendencias de nuestra época: igualitarismo y sobrehumanismo. Toda tendencia atraviesa tres fases: la mítica (en la que surge una nueva visión del mundo de manera todavía instintiva, como sentimiento del mundo no racionalizado y, por tanto, como unidad de los contrarios), la ideológica (en la que la tendencia, habiéndose afirmado históricamente, comienza a reflexionar sobre sí misma y, entonces, se divide en diferentes ideologías contrapuestas entre sí) y la autocrítica o sintética (en la que la tendencia toma nota de su división ideológica y trata de recrear artificialmente la propia unidad originaria). Y si el igualitarismo (hoy en fase “sintética”) es la tendencia histórica dominante desde hace dos mil años, la primera expresión “mítica” del sobrehumanismo ha de buscarse en los movimientos fascistas europeos.

El fascismo, para Locchi, no puede ser comprendido más que a la luz de la “predicación sobrehumanista” de Nietzsche y Wagner (6) y de la “vulgarización” que de tales tesis llevaron a cabo los intelectuales de la Revolución Conservadora (que, por tanto, deja de ser una entidad “inocente”, abstractamente separada de sus realizaciones prácticas, tal y como quisiera cierto neoderechismo débil). Por tanto, el fascismo como expresión política del Nuevo Mito que apareció en el siglo XIX en algún lugar entre Bayreuth y Sils Maria. Entonces, algo nuevo. Pero, wagnerianamente, algo antiguo también.

El fascismo, de hecho, representa también la plena asunción del “residuo” pagano que el cristianismo no logró borrar y que ha sobrevivido en el inconsciente colectivo europeo. Un fenómeno revolucionario, en definitiva, que se reconoce en un pasado lo más ancestral y arcaico posible, proyectándolo en el futuro para subvertir el presente. El objetivo, de larga duración, es hacer que la Weltanschauung cristiana “retroceda más allá del umbral de la memoria”, derramando significados nuevos en los significantes viejos de matriz bíblica, tal y como originariamente el cristianismo “falsificó” los términos paganos para canalizar la propia visión del mundo en un lenguaje que no resultase incomprensible a las gentes europeas. Es el proyecto que el Parsifal wagneriano expresa con la fórmula “redimir al redentor” (7).



El mal americano

Pero la primera tentativa de actuar concretamente en la historia por parte de la tendencia sobrehumanista, como sabemos, desembocó en la derrota militar europea de 1945. Una derrota que puso al viejo continente entre las fauces de la tenaza construida en Yalta. En aquel periodo, está bien recordarlo, demasiados herederos del mundo que salió derrotado de la segunda guerra mundial pensaron en renovar su militancia sosteniendo uno de los dos brazos de la tenaza a expensas del otro, anhelando un Occidente “blanco” que no podía ser otra cosa que la “tierra del anochecer” (Abend-land) en la que ver el crepúsculo de toda esperanza de renacimiento europeo. Eligieron, aquellos “fascistas” viejos o nuevos, la táctica del “mal menor”, que, como se sabe, no es otra que la táctica del “tonto útil” vista… por el tonto útil.

En este contexto, será precisamente Locchi (no sólo, ni el primero: sólo hay que pensar en Jean Thiriart) quien denuncie las insidias del “mal americano”. Y El mal americano (Il male americano) es también el título de un libro que salió de un artículo aparecido en Nouvelle Ecole en 1975 con la firma de Robert de Herte y Hans-Jürgen Negra, pseudónimos respectivamente de Alain de Benoist y del mismo Locchi. Tal texto contribuirá de manera decisiva a depurar el corpus doctrinal de la Nueva Derecha de toda sugestión occidentalista. Por lo demás, los dos autores provocarán un cortocircuito en la lógica de los bloques citando una frase de Jean Cau: “En el orden de los colonialismos, es ante todo no siendo americanos hoy, como no seremos rusos mañana”. Hay una gran sabiduría en todo esto. En Il male americano América es descrita más en su ideología implícita, en su way of life, que en su praxis criminal. Una ideología hecha de moralismo puritano, de desprecio por toda idea de política, tradición o autoridad, de mentalidad utilitarista, de conformismo y ausencia de estilo, de odio freudiano contra Europa. Lo que especialmente interesa a los autores es la influencia de la Biblia en la mentalidad colectiva estadounidense, sin la cual serían inconcebibles los delirios neocon de la actual administración. Y además – el recuerdo del 68 estaba todavía caliente- no falta el repetido énfasis de la sustancial convergencia entre la contestación izquierdista y los mitos del otro lado del Atlántico. Nueva York como capital del neo-marxismo: basta con esto para distinguir el texto del Locchi/ de Benoist de las denuncias “progresistas” de los varios Noam Chomsky (aunque, por supuesto, también estos tienen su función).



La tierra de los hijos

Pero “el mal americano” es sobre todo un mal de Europa. Hoy que la guerra fría ha terminado ya y al orden de Yalta le ha sucedido el feroz solipsismo armado de un pseudoimperio fanático y usurero, nos damos cuenta de ello más que nunca. Europa: el gran enfermo de la historia contemporánea. Pero también una idea-fuerza, un mito, un retorno a los orígenes que es proyecto de porvenir, como proclama la lógica del tiempo esférico.

En este sentido, las referencias a la aventura indoeuropea o al Imperium romano, a las polis griegas más que al medievo gibelino sirven como materia prima a partir de la cual forjar algo nuevo, algo que no se ha visto nunca. “Si se quiere hablar de Europa, proyectar una Europa, es preciso pensar en Europa como en algo que nunca ha sido, algo cuyo sentido y cuya identidad han de ser inventados. Europa no ha sido y no puede ser una ‘patria’, una ‘tierra de los padres`, ésta solamente puede ser proyectada, para decirlo como Nietzsche, como ‘tierra de los hijos’ (8). Si tiene que haber nostalgia, entonces que sea “nostalgia del porvenir”, como en el (extrañamente feliz) eslogan del MSI de hace ya años. Este mundo que cree en el fin de la historia quizás está asistiendo simplemente al fin de su propia historia. Después de todo, nada está escrito. ¿Nos hundiremos también nosotros en las pútridas ruinas de esta decadencia iluminada con luces de neón? ¿O tendremos la fuerza para forjar nuestro destino a través de la institución de un “nuevo inicio”? Lo decidirá tan sólo la solidez de nuestra fidelidad, la profundidad de nuestra acción, la tenacidad de nuestra voluntad.



Notas:

(1) Stefano Vaj, Introduzione a Girogio Locchi, Espressione e repressione del principio sovrumanista (La esencia del fascismo).Entre los intelectuales influenciados por Locchi recordamos, además del propio Vaj, todo el núcleo fundador de la Nouvelle Droite de los años 70/80, desde De Benoist a Faye, pasando por Steuckers, Vial, Krebs, pero también Gennaro Malgieri y Annalisa Terranova, hoy en AN. Ideas locchianas aparecen también en tiempos recientes en Giovanni Damiano y Francesco Boco. No podemos dejar de citar, además, a Paolo Isotta, crítico musical del Corriere della Sera (¡!), a quien Maurizio Carbona logró convencer para que redactara un entusiasta ensayo introductorio al libro sobre Nietzsche y Wagner y que últimamente (véase la siguiente nota) ha vuelto a citar a Locchi precisamente en las columnas del mayor diario italiano.

(2) Paolo Isotta, “La Rivoluzione di Wagner”, en Il Corriere della Sera del 4/4/05

(3) Hay que decir, además, que entre los papeles que Locchi dejó, se encuentra diverso material inédito, entre el cual está un ensayo sobre Martin Heidegger probable y desafortunadamente destinado a no ver nunca la luz.

(4) De Wagner, Nietzsche e il mito sovrumanista.

(5) Ibidem

(6) Por otra parte, gran mérito de Locchi es el hecho de haber redescubierto las potencialidades revolucionarias de la obra wagneriana en un ambiente que continuaba pensando en el compositor alemán desde la perspectiva de la doble “excomunión” nietzscheana y evoliana.

(7) Los Indoeuropeos, la filosofía griega, la Konservative Revolution, el fascismo, Europa: el lector atento habrá vislumbrado, detrás de referencias semejantes, la sombra pujante de Adriano Romualdi. Y sin embargo, increíblemente, Locchi desarrolló su pensamiento de manera completamente autónoma de Romualdi. Es más, será sólo gracias a algunos jóvenes italianos que fueron a visitarle a París como el filósofo conocerá la obra del joven pensador que murió prematuramente. Sin dejar de subrayar la objetiva convergencia de perspectivas. Al respecto, véase La esencia del fascismo como fenómeno europeo. Conferencia-Homenaje a Adriano Romualdi, que reproduce un discurso de Locchi pronunciado precisamente en honor del llorado autor de Julius Evola: el hombre y la obra.

(8) De L’Europa: non è eredità ma missione futura

mardi, 14 octobre 2008

Entretien avec A. A. Prokhanov

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ARCHIVES de SYNERGIES EUROPEENNES - 1996

 

Russie: identité nationale, impérialité, post-commu­nisme, nationaux-capitalistes et “compradores”

Entretien avec Alexandre Andreïevitch Prokhanov

 

L'un des principaux conseillers “nationalistes” de Guennadi Ziouganov  —le principal adversaire de Boris Eltsine lors des élections présidentielles du 16 juin 1996 en Russie—  nous a accordé un entretien exclusif le 28 mai à Moscou: il s'agit d'Alexandre Andreïevitch PROKHANOV, par ailleurs directeur de l'hebdomadaire d'opposition nationale Zavstra, ancien directeur de Dyeïnn (interdit après les jour­nées du 3 et 4 octobre 1993) et de Lettres soviétiques, un mensuel d'avant la peres­troïka, publié en plusieurs langues et où les lettres russes sortaient progressive­ment de la cangue marxiste pour retrouver pleinement leur russéité.  Cet entretien avec A. A. Prokhanov aidera nos lecteurs à y voir plus clair dans les arcanes de la politique moscovite et aussi à mieux comprendre l'étrange alliance entre nationa­listes et socialistes, entre “bruns” et “rouges” comme dit la presse à sensation, qui est en train de se sceller en Russie et pourrait, en cas de victoire des “nationaux-communistes”, bouleverser l'actuel rapport des forces en Europe (Loukian STROGOFF).

 

Q.: Vous êtes en général considéré par les media occidentaux comme l'un des principaux conseillers “nationalistes” du candidat Guennadi Ziouganov. L'identité nationale russe est toujours difficile à définir pour les Occidentaux qui n'y retrouvent pas les clivages auxquels ils sont habitués... Certains nationalistes russes privilégient la définition d'une “nation ethnique”, fondée sur l'idée de “peuple majoritaire”. Telle ville ou telle région serait russe parce que peuplée d'une majorité de Russes. D'autres nationalistes définissent la nation russe comme héritière de l'histoire de la Russie impériale. Ils en appellent à la défense des “intérêts traditionnels” de la Russie. Votre référence à vous est-elle la nation ethnique ou la nation impériale?

 

AAP: Je privilégie plutôt la deuxième définition. Depuis longtemps, j'essaie de comprendre pourquoi les nationalistes russes n'arrivent pas à s'unir dans un grand mouvement. J'ai moi-même déployé des efforts en faveur d'un mouvement de droite na­tionale russe, mais sans succès jusqu'à présent. Je crois que l'homme russe ne peut se débarrasser de la tradition impériale. L'approche purement ethnique soulève plus de problèmes qu'elle n'en résoud. Que l'on songe aux millions de mariages mixtes, à l'imbrication des peuples et des langues. Il faudrait aussi rendre les territoires où les Russes sont minoritaires. Les partisans de la nation ethnique “pure” sont peu nombreux et constituent des groupes “exotiques”. En général, le nationalisme russe est synonyme de conscience impériale. Les mouvements nationalistes et “impérialistes” ont dispersé leur soutien à tous les candidats à l'exception de Grégori Yavlinski, qui serait donc, d'un certain point de vue, le seule candidat représentant un “mouvement ethniquement pur...”.

 

Q.: Comment analysez-vous les rapports de forces parmi les forces politiques “nationalistes”, “socio-démocra­tiques” et “communistes-orthodoxes” qui soutiennent la candidature de Ziouganov?

 

AAP: Les communistes de “stricte obédience”, il n'y en a pratiquement plus, et depuis longtemps. Toute l'élite politique et idéologique a trahi la première le Parti en devenant “libérale” et en formant le camp “démocratique”. Sont restés dans le Parti des gens aux idées pragmatiques, imprégnés par l'idéal d'un grand Etat soviétique. Pour eux, l'URSS représentait le commu­nisme. Je pense en particulier aux scientifiques, aux “bâtisseurs”, aux militaires. C'est ce type de communistes qui prédo­mine aujourd'hui dans un Parti où il n'y a plus de discussions idéologiques comme dans les années 1905-1917. Le Parti actuel ne prétend plus au monopole de la vérité. De ce point de vue, on peut le qualifier de parlementaire et de “social-démocrate”. Je ne doute pas qu'en cas de victoire il conservera cette orientation. Il est dans une période de transition. Peu à peu, il devient le parti des intérêts russes, où domine l'idée de justice et d'harmonie sociales et dans lequel se retrouvent des gens qui perçoi­vent le monde de manière rationnelle, mais aussi irrationnelle, je veux dire les croyants. Provisoirement, on peut effective­ment le qualifier de “national-communiste”. Deux sources d'énergie l'animent: l'énergie de la nation blessée et l'énergie de la souffrance sociale.

 

Q.: On a accusé Ziouganov d'anti-sémitisme parce que dans son livre Je crois en la Russie, il a écrit: «La diaspora juive contrôle traditionnellement la vie financière du Continent et devient chaque jour davantage l'inspiratrice principale du système socio-économique occidental». Pensez-vous que Ziouganov soit antisémite?

 

AAP: En Russie, comme en Europe, une situation s'est créée qui fait que quiconque prétend parler des rapports des Juifs à la société est qualifié d'antisémite. Les relations entre Russes et Juifs sont effectivement tourmentées, comme elles l'ont tou­jours été, parce qu'il y a eu beaucoup de souffrances de part et d'autre. Ziouganov, en tant qu'analyste politique, parle de ques­tions qui débordent du cadre de la Russie. Mais il n'est pas antisémite. Homme d'Etat, il doit prendre en compte toutes les forces du pays et tenter de restaurer la justice et l'harmonie partout où elles ont été bafouées.

 

Q.: Eltsine est clairement le candidat de l'étranger, des forces financières mondialistes. Mais qu'en est-il de Yavlinski? Doit-il être considéré comme le candidat de secours de l'étranger? Le maintien de sa candidature s'explique-t-il par un ordre venu d'ailleurs ou simplement par le fait qu'il se serait montré trop gourmand lors de ses marchandages avec Eltsine?

 

AAP: Autour d'Eltsine gravitent deux types de politiciens; les uns que l'on peut qualifier de “nationaux-capitalistes” et les autres que j'aime à appeler les “compradores”. Le conflit entre eux est permanent. A un certain moment, Eltsine s'est séparé des li­béraux radicaux. Il a rempli son administration de nationaux-capitalistes et, en ce sens, on ne peut plus dire qu'il soit absolu­ment une créature des Etats-Unis. Et les intérêts des libéraux radicaux se trouvent réellement représentés par Yavlinski qui n'est donc pas un candidat de secours mais une créature autonome, un “produit pur”. Le conflit entre Eltsine et Yavlinski pro­vient de deux visions du monde différentes. C'est un conflit entre clans et intérêts capitalistes divergents. Aujourd'hui, les na­tionaux-capitalistes, les “durs”, les “ministres de force” autour du Général Koriakov, sont l'un des piliers sur lequel s'appuie Eltsine pour contrebalancer l'influence de l'autre pilier constitué des “compradores” comme son conseiller économique Livchits et son premier ministre Tchernomyrdine. Ce second pilier est proche de Yavlinski.

 

Q.: Déjà pendant l'été 1995, Oleg Boiko, parlant au nom d'un certain nombre de banquiers, souhaitait le report des élections législatives en échange d'un soutien financier au sommet de l'Etat. En quelque sorte, il voulait “privatiser” la présidence de la Russie et le gouvernement fédéral. Il déclarait: «Le choix est entre le capitalisme et la démocra­tie». Aujourd'hui, la “lettre des 13” (banquiers et grands hommes d'affaires) réclame un compromis historique et un gouvernement d'union nationale qui préseveraient leurs intérêts. Ils font un chantage à la guerre civile. Que pensez-vous de cette démarche? Guennadi Ziouganov devrait-il accepter de débattre d'un tel compromis avant les élections?

 

AAP: La menace de guerre civile n'est pas une abstraction. Si elle était un mythe, elle ne serait pas employée comme un ins­trument de guerre psychologique. La situation est si conflictuelle qu'elle interdit aujourd'hui toute renaissance du pays. Les forces antagonistes en présence s'annulent. Ces 13 banquiers que nous appelons les “13 vampires” ont une motivation cachée à l'opinion publique: la peur d'un nouveau coup de force d'Eltsine s'appuyant sur les “nationaux-capitalistes”. Ce groupe serait alors en position de grande force et le clan des “compradores” autour de Tchernomyrdine, qui sert ces treize banquiers, ont peut d'être les prochaines victimes d'une sorte de “fascisme de droite”. Il faut se souvenir du conflit de l'an dernier entre le Général Koriakov et Vladimir Goussinski, président du groupe financier et de presse Most, élu récemment président du Congrès des Juifs de Russie après quelques mois d'exil à Londres. C'est cette peur, non pas des “nationaux-communistes” mais des “nationaux-capitalistes” qui les a contraints à formuler des propositions de compromis entre les différentes forces politiques.

 

Q.: En cas de victoire de Guennadi Ziouganov, quelles seront les mesures de première urgence qui seront deman­dées au nouveau gouvernement par votre hebdomadaire   Zavstra?

 

AAP: Nous ne cherchons pas de revanche. Une amnistie sera nécessaire pour retrouver la paix sociale. Nous honorerons nos morts. La vengeance ne viendra que de Dieu et la grâce, du chef de l'Etat.

 

Q.: Vous avez été le chroniqueur quasi officiel de la campagne militaire soviétique en Afghanistan. Comment jugez-vous de l'opportunité et des résultats de la campagne militaire russe en Tchétchénie, en particulier à la lumière du “cessez-le-feu” qui vient d'être signé au Kremlin?

 

AAP: Le conflit en Tchétchénie est le résultat du développement d'un monde criminel, à Grozny comme à Moscou. Il s'agit en fait d'un règlement de comptes entre groupes mafieux. C'est pourquoi cette guerre n'en était pas vraiment une. Elle a été “instrumentalisée” par les lobbies du pétrole, de la drogue, etc. A ma connaissance, ce sont des émissaires de Tchernomyrdine qui se sont entendus avec les chefs tchétchènes sur une nouvelle répartition des bénéfices des oléoducs existants et en projet. Eltsine a arrêté pour l'instant la guerre et peut en tirer un bénéfice électoral, mais rien n'est résolu au fond et la criminalisation de la Caucasie a été dopée par cette guerre. Les empires criminels n'ont pas le droit d'exister.

 

Q.: Evguénié Primakov semble avoir rendu une certaine cohérence à la diplomatie russe. Le ministre de l'intérieur, Anatoli Koulikov, donne également l'impression d'être un homme intègre et sérieux. Ces deux ministres pour­raient-ils, à votre avis, conserver leur poste dans le cadre d'une nouvelle administration?

 

AAP: C'est possible. Connaissant bien Guennadi Ziouganov et son approche prudente en matière de changement, il ne peut qu'apprécier un spécialiste comme Primakov, brillant représentant de la tradition diplomatique soviétique. Il est sans doute unique. Il a su rétablir la situation après le départ de Kozyrev, le pion des Américains. Il peut donc être très utile. Koulikov est aussi un bon spécialiste. Nous n'oublions pas comment il a fait tuer beaucoup de nos amis les 3 et 4 ocotbre 1993. Il a certains mérites autres cependant. Le plus important est d'avoir refusé de participer au coup de force prévu le 17 mars dernier et qui avait connu un début d'exécution avec l'occupation de la Douma pendant quelques heures. Sa volonté déclarée en début d'année de contrôler les banques anti-nationales et ses tentatives pour lutter contre la corruption dans son ministères peuvent plaider en sa faveur.

 

Q.: Certains pays ouest-européens, en particulier la France, s'efforce d'affranchir l'Union Européenne de la tutelle américaine. Un nouveau pouvoir en Russie devrait-il appuyer une telle démarche vers une “Europe aux Européens”?

 

AAP: Tout ce qui est venu d'Europe en Russie a été négatif. L'Occident est pour nous synonyme du Mal. Les politiciens sont intéressés à un éloignement des Etats-Unis d'Europe, parce que le retrait américain affaiblirait celle-ci. Il y a des nœuds de contradictions qui handicapent heureusement son influence sur la Russie. En grande partie, l'Union Européenne est une illu­sion comme l'ont montré les contradictions entre la France et l'Allemagne à l'occasion du conflit dans les Balkans, dont la Russie a jouées. Elle continuera dans cette voie. Le recentrage de la politique améircaine vers l'Asie peut faire des Etats-Unis un partenaire de la Russie dans cette région.

 

(propos recueillis par Loukian STROGOFF).

vendredi, 10 octobre 2008

Entretien avec Anatoli Ivanov

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ARCHIVES DE "SYNERGIES EUROPEENNES" - 1996

 

Identité et socialisme en Russie

Entretien avec Anatoli Ivanov

 

Tous les Européens tournent anxieusement leurs regards vers la Russie. Les élections de la Douma n'ont pas profité à l'opposition nationale, qui n'a pas obtenu la majorité des sièges escomptée. L'opposition de gauche a pris, elle, un poids considérable. Mais le vieux clivage gauche/droite, cher aux démocraties vermoulues d'Europe occidentale et des Etats-Unis, est beaucoup plus fluide en Russie car l'anticapitalisme et l'anti-américanisme sont aux programmes de ces deux blocs oppositionnels. C'est en tenant compte de cette réalité idéologique que le spécialiste allemand des questions russes, Wolfgang Strauss, est allé s'entretenir avec notre correspondant russe, Anatoli M. Ivanov, fin observateur de la vie politique russe actuelle (Robert Steuckers).

 

WS: Aviez-vous envisagé la victoire de l'opposition de gauche?

 

AMI: Oui. J'avais pronostiqué 30%. Mais la concentration des voix sur le parti de Ziouganov a été plus forte encore que je ne l'avais imaginé (au lieu de 15%, il a obtenu 22%). Les partisans du PC ont ainsi évité une dispersion des votes. Je connais même d'anciens détenus politiques qui ont voté pour le PCFR. Le parti “Troudovaïa Rossiya” (“La Russie au Travail”) de Viktor Ampilov a engrangé 4,5% des voix et obtenu un seul mandat direct. Le “Parti Agrarien” a eu 4% et 20 élus directs. Le bloc électoral “Le pouvoir au peuple” n'a, lui, obtenu que 1,5%, mais s'est assuré la majorité dans onze circonscriptions. Ses têtes de liste, Ruchkov et Babourine ont désormais un siège au Parlement.

 

WS: Ces résultats ont-ils été obtenus au détriment de l'opposition nationale?

 

AMI: Sans nul doute, on peut dire que l'aile nationale du spectre politique russe est sortie affaiblie de ces élections. Jirinovski a eu 11% et a subi ainsi une défaite dans toutes les circonscriptions où le vote personnel avait de l'importance. Parmi ses 180 candidats directs, un seul a obtenu un siège.

 

WS: Le fisco du “Congrès des Communautés Russes” (CCR) était inattendu: il n'est pas parvenu à passer la barre des 5%...

 

AMI: Dans les circonscriptions à vote majoritaire, le CCR a gagné cinq mandats, parmi lesquels celui du Général Alexandre Lebed. Tous les observateurs de la vie politique russe pensent que la raison principale de cet échec provient de la personnalité de Skokov, fort antipathique. Cet homme figurait en tête de liste. Le maigre résultat du CCR diminue considérablement les chances du Général Lebed dans la prochaine course à la présidence.

 

WS: Et qu'est-il advenu du mouvement social-patriotique “Derchava”, dirigé par le Général Routskoï, le héros de la Maison Blanche en octobre 1993?

 

AMI: Ce mouvement a dû encaisser une défaite totale. Il n'a obtenu que 2% des voix et n'a gagné aucun mandat direct.

 

WS: Et les autres figures de proue de l'opposition nationale qui se sont présentées dans les circonscriptions à élection directe?

 

AMI: Elles ont toutes été perdantes. Nikolaï Lyssenko, le chef des nationaux-républicains, a connu l'échec tout comme les candidats de la “Fédération des Patriotes”, les généraux Sterligov et Atchalov, et les militants du “Semskii Sobor” (“L'Assemblée du Pays”), parmi lesquels l'ancien député Astafiev, un chrétien démocrate. Le cinéaste Stanislav Govoroukhine de l'“Alliance Populaire”, porte-paroles de la fraction constituée par le petit “Parti Démocratique” dans l'ancienne Douma, a gagné les élections dans sa circonscription à vote majoritaire, grâce à l'appui des communistes; en revanche, ses co-listiers Axioutchiz (libéral) et Roumiantsev (social-démocrate) ont perdu. Les locomotives du “Parti National-Bolchevique”, Edouard Limonov et Alexandre Douguine, n'ont eu aucun succès à Moscou et à Saint-Petersbourg. Le célèbre animateur de télévision Alexandre Nevzorov a été réélu à Pskov. Le “Mouvement Populaire Russe”, fondé par les Cosaques de Sibérie, n'a obtenu que 0,13% des voix. Quant aux atamans des Cosaques du Don, Ratiyev et Kosytsine, ils n'ont pas pu s'affirmer dans leurs propres circonscriptions électorales.

 

WS: Mais quel est le résultat final de tout cela, en termes de sièges à la Douma...

 

AMI: ... les partis d'opposition nationale ont 20%, le parti gouvernemental de Tchernomyrdine n'a que 9%. Le rapport des forces est de 51-49. L'opposition, droites et gauches confondues, obtient 51%; Tchernormyrdine, c'est-à-dire Eltsine, et différents partis démo-libéraux, obtiennent 49%.

 

WS: Au vu de ses résultats, peut-on dire que les pronostics pour les élections présidentielles du 16 juin doivent être totalement révisés?

 

AMI: Certainement. Tous les pronostics émis avant le 17 décembre se basaient sur des appréciations exagérées de la popularité de Lebed. Il ne reste plus que deux favoris à l'heure actuelle: Ziouganov et Jirinovski. Chacun d'eux peut battre Tchernormyrdine, mais pas Eltsine! Le CCR fait contre mauvaise fortune bon cœur et cherche les causes de sa défaite dans les brouilles internes du mouvement, dans les intrigues de ses propagandistes, en un mot, partout, sauf, dans ses propres erreurs de gestion.

 

WS: Ce qui intéresse tout particulièrement les lecteurs allemands et ouest-européens, militants des diverses oppositions nationales comme anti-fascistes en quête de sensationnel, c'est l'échec complet du mouvement “Unité Nationale Russe”, qui a fait la une de beaucoup de journaux à cause de son style qui rappelait les années 30...

 

AMI: Pour ce qui concerne son leader, Alexander Barkachov, il faut dire que son avocate, Madame Dementyeva, a subi une défaite à Moscou, tandis que son second candidat a échoué dans la région de Kalouga. Un ancien partisan de Barkachov, Alexander Fiodorov, s'est porté candidat pour le “Parti Russe” à Mytichtchy dans la région de Moscou: en vain, résultats nuls! Quant au célèbre Wedekin, il a connu l'échec à Lioubertzy, également dans la région de Moscou. Nos grandes villes ne se prêtent pas à ce type d'“aventuriers politiques”, comme les appelent les libéraux. Alexander Nevzorov a été plus pertinent: il s'est porté candidat en province, à Pskov, et a gagné.

 

WS: Il est étonnant que ce mouvement national, si bien capillarisé dans la société, si diversifié, alignant tant de partis et de cartels électoraux, n'a obtenu que des résultats aussi misérables. En tant qu'analyste patenté de cette nébuleuse de partis d'opposition nationale, pourriez-vous nous expliquer les causes de cet échec?

 

AMI: Il y a deux causes principales, d'ordre technique et organisationnel. D'abord, ils n'ont pas été en mesure de réunir les 200.000 signatures par liste prévues par la loi électorale. Ensuite, ils ne possédaient pas de “réserves” de voix, ce qui permettait à la “commission électorale centrale” de les exclure très aisément de la course. Plusieurs partis ont été victimes de cette débâcle: le “Parti Russe” du Colonel Milozerdov, le parti “Renaissance”, le “Parti National Populaire’ de Vladimir Ossipov (un ami de jeunesse, prisonnier politique de 1961 à 1968 et de 1974 à 1982), la “Fédération des Patriotes”, enfin, le Semskii Sobor dans lequel militaient le célèbre sculpteur Klykov et le rédacteur en chef du journal “Rousski Vestnik” (= “Le messager russe”), Sénine, qui figurera en tête de liste.

 

WS: Donc, dès le départ, c'est Jirinovski qui a eu les meilleurs atouts en mains?

 

AMI: Quelle que soit la position que l'on adopte à son égard, quel que soit le jugement que l'on puisse porter sur sa personne, ses succès électoraux nous obligent à réfléchir. L'élément principal dans ce phénomène politique, c'est que Jirinovski incarne le type même de l'activiste politique moderne capable de conquérir la sympathie du public et qui ne palabre pas inlassablement sur le bon vieux temps d'il y a cent ans...

 

WS: Il est tout de même étonnant qu'aucun rival ne se mette en travers du chemin qu'emprunte cet homme haut en couleurs, qu'aucun concurrent crédible venu du camp de l'opposition nationale, qu'aucun populiste véritable ne se lève pour lui barrer la route...

 

AMI: Effectivement! Lors des élections pour la Douma en décembre 1993, Jirinovski a profité de la colère populaire après l'assaut sanglant lancé par les troupes d'Eltsine contre le Parlement (la Maison Blanche). Jirinovski a pu ainsi se hisser au-dessus des cadavres des défenseurs de la Douma et confisquer à son profit leurs mots d'ordre nationaux russes. En 1995, les démocrates annonçaient urbi et orbi  que le parti de Jirinovski n'allait jamais passer la barre des 5%. Aujourd'hui, ils s'étonnent une fois de plus des succès enregistrés par Jirinovski. On peut se poser la question: pourquoi aucun homme politique du camp national ne peut-il dépasser Jirinovski en popularité, pourquoi aucun d'entre eux ne peut-il exercer le même pouvoir d'attraction sur les masses populaires, ne fait-il preuve d'une autorité comparable?

 

WS: La Russie ne possède-t-elle donc pas d'homme charismatique dans le camp des nationaux?

 

AMI: Pendant toute une période, on a pensé que le Général Alexander Routskoï allait pouvoir jouer ce rôle. Sous la bannière de son mouvement “Derchava”, plusieurs opposants du camp national se sont unis, tels Axioutchitz, Astafiev, Pavlov, Artemov et le Colonel Alksnis. Mais on n'a assisté par la suite qu'à des démissions, des scissions, des intrigues. C'est ainsi que Routskoï a perdu son prestige, qu'il n'a plus pu jouer le rôle d'intégrateur. L'échec de son mouvement met un terme définitif à ses ambitions dans les élections présidentielles. Après le désastre subi par Routskoï, les mouvements patriotiques ont placé leurs espoirs dans le Général Alexander Lebed. Mais contre toute attente, son CCR a subi une terrible défaite en décembre 1995. Du fait que le CCR n'a pas réussi à se tailler une part dans les sièges de la Douma, on a accusé son président, Youri Skokov, d'avoir mal géré le mouvement derrière lequel se profilait le populaire Général. La stratégie de Skokov a suscité l'incompréhension voire le rejet des nationaux-patriotes. Non seulement parce que le technocrate Skokov pactisait en coulisse avec le parti de Gaidar, mais parce que Skokov prétendait qu'il n'existait pas de Russes ethniquement purs et que, dès lors, la Russie devait être transformée, par le biais d'un référendum, en une Union d'ethnies diverses.

 

WS: Mais les causes de l'échec de l'opposition nationale ne sont-elles pas plus profondes, ne sont-elles pas à rechercher au-delà des querelles de personnes, c'est-à-dire dans le discours idéologique lacunaire qu'elle tient et dans les stratégies déficitaires qu'elle pratique?

 

AMI: Bien sûr. Quoi qu'on puisse dire sur Routskoï, il a eu des moments de grande lucidité. La grande tragédie de la Russie, a-t-il dit lors d'un entretien avec la presse, est d'avoir considérer que les deux grandes idées mobilisatrices de notre siècle, l'idée de justice sociale et l'idée d'identité nationale, ont été considérées comme des antinomies. Effectivement, quand un militant politique s'engage pour le salut de sa nation et oublie la justice sociale, ou quand un militant socialiste s'engage à fond pour la justice sociale et oublie le salut de la nation, ils font tous deux fausse route, s'engagent dans une impasse. Hélas, Routskoï n'a fait que signaler ce problème majeur, il n'a suggéré aucune solution. Mais si les nationaux parvenaient à s'en rendre compte et à agir en conséquence, les communistes perdraient rapidement leur marge de manœuvre en Russie.

 

WS: Autre sujet: la situation des Allemands de Russie autorise-t-elle quelqu'espoir? Quelles sont leurs chances de retrouver une dose d'autonomie? Comment leur futur se dessine-t-il? Vont-ils rester? Vont-ils émigrer?

 

AMI: La situation des Allemands de Russie a été soumise à discussion dans la Douma le 17 novembre 1995. C'est une déclaration du député communiste Oleg Mironov qui a ouvert les débats. Dans la circonscription électorale d'Engels, ce député a proposé de voter le 17 décembre pour le national-républicain Lyssenko. Mironov a dit: «Dans la région de Saratov les relations entre les nationalités sont en train de se dégrader. D'après les résultats de sondages locaux, la population russe refuse catégoriquement que ce crée un Etat allemand sur le cours de la Volga [ndlr: comme avant 1941]. Il est dangereux de soulever à nouveau cette question. Parmi les habitants de cette ancienne république autonome règne désormais un certain désarroi; ils pensent: des Allemands dans la région? Oui! Une autonomie? Non!».

 

WS: Il n'y a pas eu de voix pour s'opposer à cette opinion?

 

AMI: Si. Le ministre des nationalités Mikhaïlov a répondu que les données qu'avançait Mironov étaient obsolètes et remontaient aux années 1988-89. A cette époque-là, la situation avait été très tendue; aujourd'hui, quelque 17.000 Allemands se seraient installés dans la région, dont 65 à 70% des familles seraient mélangées, seraient donc germano-slaves. Près de 80% des Allemands de Russie vivaient auparavant en Sibérie occidentale, soulignait le ministre.

 

WD: Jirinovski a-t-il participé aux débats?

 

AMI: Oui, en lançant la phrase suivante: «Nous devrions cesser définitivement de parler de la création d'une quelconque autonomie pour les Allemands de Russie. Au Kazakhstan, s'il vous plait».

 

WS: Qu'a répondu le ministre?

 

AMI: En citant des faits. Voici ce qu'il a dit, textuellement: «Après la guerre, 1,7 million d'Allemands ont quitté l'URSS et, au cours de ces trois dernières années, 200.000 Allemands supplémentaires sont encore partis, la plupart venant du Kazakhstan, d'Asie centrale». Un tiers de ces réfugiés sont revenus s'installer en Sibérie occidentale russe, où nous avons constitué deux arrondissements nationaux allemands, dans la région de l'Altaï et dans la circonscription d'Azov dans la région d'Omsk. 70.000 Allemands du Kazakhstan et d'Asie centrale  —dans ce cas aussi, nous avions affaire à des familles mixtes—  ont souhaité s'installer dans la circonscription d'Azov». Ensuite, Mikhaïlov a dit, plein d'espoir: «Nous avons donc un bilan positif. Au cours de ces deux dernières années, plus d'Allemands ont quitté la région de Saratov que de nouveaux arrivants y ont été enregistrés. Dans des circonstances favorables, 150.000 à 160.000 Allemands pourraient trouver une nouvelle patrie sur les rives de la Volga».

 

WS: Monsieur Ivanov, nous vous remercions de nous avoir accordé cet entretien.

(entretien paru dans Europa Vorn, n°100, 1 avril 1996; adresse: Europa Vorn, Pf.30.10.10, D-50.780 Köln).

lundi, 06 octobre 2008

Europe: terre d'empires?

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Europe: terre d'empires?

 

Dans le numéro 14 de notre bulletin, je lisais avec satisfaction une étude, assez longue, de notre ami Lucien Favre, intitulée «Géopolitique, Politique étrangère, sécurité et défense en Eurasie». L'auteur a là une démarche tout-à-fait “synergétiste”: il guide notre réflexion sur les points essentiels de la future puis­sance que nous souhaiterions devenir. Mais l'audace de sa démonstration se fonde, on l'aura senti en la lisant, sur l'usage affirmé du terme “Eurasie”. Mis à part quelques spécialistes de l'histoire diplomatique, quelques officiers des services spéciaux, quelques slavistes qui connaissent le vieux rêve “eurasiste” de certains philosophes, écrivains et publicistes russes, personne, en Occident, ni dans les médias qui ne racontent plus rien d'essentiel, ni a fortiori dans le vaste public, n'est capable de définir correctement cette notion. Ce flou recèle bien des dangers. Ce qui nous oblige à prendre des précautions. Afin qu'il ne soit pas utilisé n'importe comment, ressassé comme une incantation ou une formule magique, comme le prisent les sectaires et les angoissés qui cherchent à tout prix des prétextes pour se rendre intéressants et pour attirer sur eux l'attention de quelques pâles journalistes manipulés et foireux, en mal de copies et désireux de découvrir un nouveau “Grand Satan”.

 

En effet, le mouvement SYNERGIES EUROPÉENNES n'a nullement l'intention de fabriquer un ersatz de romantisme, de manier un leitmotiv pour choquer le public et le prendre à rebrousse-poil. Un séminaire de SYNERGIES décidera cet hiver de l'usage que nous ferons du terme “Eurasie” dans nos discours à con­notations géopolitiques.

 

D'ores et déjà, nous orienterons nos réflexions sur les faisceaux de faits suivants:

 

* Le terme Eurasie est une notion géographique désignant les terres sibériennes, nord-asiatiques et centre-asiatiques où la Russie a exercé sa souveraineté, qui ont été peuplées de Russes. Et où la Russie est sciemment revenue, par la force des armes et par l'audace de ses cosaques, sur des territoires qui avaient été indo-européanisés à un moment ou un autre de l'histoire (Scythes, Parthes, Sakhes, Pré-Indiens, Tokhariens, etc.). La Russie a été la puissance mo­derne qui a sécurisée ces terres, afin qu'elles ne servent plus de tremplin aux invasions turco-mongoles. Personne en Europe n'a d'ailleurs intérêt à ce que cet espace redevienne la zone de rassemblement d'adversaires de notre famille de peuples.

 

* Il existe une institution internationale, garante de l'application des “droits de l'Homme”, qui couvre tout le territoire de l'Eurasie, c'est-à-dire de l'Europe et de l'ancienne URSS: c'est l'OSCE. Il convient de ren­for­cer prioritairement cette institution. François Mitterrand et Jacques Attali avaient naguère appelé de leurs vœux un espace de paix dans cette très vaste région du monde. Attali parlait plus exactement de «Marché Commun Continental» (MCC). Même si leurs visions n'ont pas été suivies d'effets, à cause d'événements comme ceux de Tchétchénie ou du Tadjikistan, il convient de revenir sur leurs discours, de les dépouiller des niaiseries idéologiques qu'ils ont été obligé de prononcer, political correctness oblige et parce qu'ils n'ont pas eu le courage de briser la dictature des médias, de dénoncer leur travail de manipu­lation au profit de la seule superpuissance subsistante. Tout cela pour dire que les spéculations sur l'Eurasie ne sont pas le seul fait de groupuscules “extrémistes”, comme aiment à le faire accroire les con­servateurs atlantistes et les petits journalistes médiocres qui leur servent de relais. L'«Eurasisme» préoccupe les chanceleries. Tout autant que nous.

 

* Récemment, les Presses universitaires d'Oxford en Angleterre ont sorti ou ressorti les ouvrages de l'historien britannique Peter Hopkirk sur le travail incessant des services secrets de tous les pays pour contrôler les masses continentales centre-asiatiques. Russes, Allemands, Japonais, Turcs et Britanniques ont, au moment de la révolution bolchevique, tenté de se rendre maîtres de l'espace turco­phone et des espaces immédiatement adjacents. Les prodigieuses aventures de Ungern-Sternberg, d'Enver Pacha, de Wilhelm Wassmuss, de von Niedermayer, de MacDonnell, etc. hantent toujours les imaginations, depuis John Buchan (Greenmantle)  jusqu'au livre de Jean Mabire sur Ungern-Sternberg. Les puissances ont toujours voulu se rendre maîtresses de la “Route de la Soie”: lors de l'effondrement de l'Empire tsariste, elles ont joué ce que Hopkirk nomme le “Grand Jeu”, afin de s'emparer de cette zone stratégique de première importance. Avec l'effondrement de l'URSS, le “Grand Jeu” peut à nouveau se jouer et bien fol serait celui qui refuserait d'en prendre acte et de tenter d'y avancer ses pions. Inutile de vous dire que les livres de Hopkirk retiendront toute notre attention.

 

* Enfin, comme cette “Route de la Soie” traverse un territoire musulman, les puissances qui tentent de la contrôler, jouent forcément une “carte musulmane”, développent un “discours islamophile”. Dans un tel contexte, une islamologie, fondée sur un sens aigu de la Realpolitik et des impératifs géopolitiques, est indispensable. Et doit impérativement se démarquer de cette islamophilie marginale, maniée par des ser­vices spéciaux tentant de compléter leurs fiches, de repérer les fanatiques niais capables de commettre n'importe quelles bavures et de recruter, si besoin s'en faut, des poseurs de plastic, afin de démontrer aux yeux des masses, qui ignorent tout du “Grand Jeu”, que le Diable est parmi eux. SYNERGIES EUROPÉENNES sera donc très attentive au dis­cours du ministre allemand des affaires étrangères, Klaus Kinkel (cf. Der Spiegel, 45/1995), qui entend développer un “dialogue critique” avec l'Iran et les autres puissances islamiques. Cette notion de “dialogue critique” s'ancre bien dans la logique de l'OSCE et vise à jouer le “Grand Jeu” en gardant la tête froide, en refusant certains a priori idéologiques, en respectant les convictions religieuses des peuples concernés, en apaisant les passions vectrices de chaos. Toute politique de discussion avec l'une ou l'autre puissance musulmane, dont l'Iran, doit s'inscrire dans un cadre aussi rigoureusement dé­fini que celui que nous propose Kinkel, tenir compte de cette institution qu'est l'OSCE. Les politiques de boycott absolu sont des gamineries politiques et géopolitiques, au même titre que tous les discours issus de l'éthique de la conviction, contraire diamétral de l'éthique de la res­ponsabilité. Et tant pis pour les puissances européennes qui n'ont pas la maturité de pratiquer un “dialogue critique”. Elle rateront le train de l'histoire. Et imploseront lamentablement en croyant détenir une vérité, “rationnelle” et “politiquement correcte”.

 

Dans le cadre de SYNERGIES, deux questions se posent: l'Eurasie est-elle une terre européenne et asiatique, est-elle plus vraisemblablement une terre d'Europe incluant la partie asiatique de la Russie, au­quel cas il faudrait parler d'Empire Eurasien? On sent très bien que deux écoles coexistent dans le réseau SYNERGIES: Pour l'une, il n'est pas de bloc européen qui n'incluerait à la fois son Occident et son Orient, de Reykjavik à Vladivostok. L'autre estime que les différences, à tous niveaux, sont telles entre l'Orient et l'Occident de ce vaste espace, qu'elles excluent un avenir maîtrisé conjointement et préfère envisager un continent “bicéphale”, régi par deux blocs impériaux, l'un européen, l'autre russe/eurasiatique, liés en­semble par d'étroits accords culturels, défensifs et économiques.

 

Quoi qu'il en soit, pour tous les “synergétistes”, une chose est certaine: notre avenir réside dans la cons­titution et la consolidation d'un bloc aux dimensions impériales, mais organisé par des structures fédé­rales, maintenant les identités comme ciment cohésif des sociétés, et vivifié par une paedia insufflant des valeurs fortes, garantes de l'indépendance et de la puissance du bloc politique. Ces propositions sont toutes réalisables dans une OSCE, débarrassée des discours larmoyants et obsolètes de l'idéologie soft. Car toujours nous maintiendrons les deux dimensions de notre programme: IMPÉRIUM et SUBSIDIARITÉ.

 

Gilbert SINCYR.

samedi, 04 octobre 2008

Ni Izquierda ni Derecha

Ni Izquierda ni Derecha
Por Alberto Buela

El lúcido pensador italiano Marcello Veneziani comienza un bello artículo sobre el antiglobalismo con la siguiente observación: "Si te fijas en ellos, los anti-G8 son la izquierda en movimiento: anarquistas, marxistas, radicales, católicos rebeldes o progresistas, pacifistas, verdes, revolucionarios. Centros sociales, monos blancos, banderas rojas. Con el complemento iconográfico de Marcos y del Ché Guevara.

Luego te das cuenta de que ninguno de ellos pone en discusión el Dogma Global, la interdependencia de los pueblos y de las culturas, el melting pot y la sociedad multirracial, el fin de las patrias. Son internacionalistas, humanitarios, ecumenistas, globalistas. Es más: cuanto más extremistas y violentos son, más internacionalistas y antitradicionales resultan".
[1]

Se da cuenta que la oposición desde la izquierda a la globalización es sólo una postura que se agota en una manifestación. Seattle, Génova, Nueva York, Porto Alegre, pero no pasa nada, "el mundo sigue andando" como decía Discepolín. Es que la política del "progresismo" como ha observado agudamente el filósofo, también italiano, Massimo Cacciari, ordena los problemas pero no los resuelve. [2]

De esto mismo se percata el sociólogo marxista más significativo de Iberoamérica, Heinz Dieterich Steffan quien en un reciente artículo señala: "Si la tarea actual de todo individuo anticapitalista es, por lo tanto, absolutamente clara: ¿Por qué "la izquierda" y sus intelectuales no la encaran? ¿Por qué repiten en foro tras foro la misma letanía sobre la maldad del neoliberalismo y se contentan con sus ritualizadas propuestas terapéuticas inspiradas en Keynes, Tobin y Stiglitz? ¿Por qué no convierten la realidad capitalista en objeto de transformación antisistémica, en lugar de mantenerla como muro de lamentaciones?" [3]

El fracaso rotundo de la izquierda, hoy rebautizada "progresismo", es que, además de no haber elaborado, deglutido sería el término exacto, la derrota del "socialismo real" con la implosión soviética y la caída del Muro, no reelaboró sus categorías de lectura, y se quedó anclado al mundo categorial de Marx, Engels, Lenin, Rosa Luxemburgo y eventualmente Trotsky, haciendo arqueología política.

Lo más significativo del siglo XX, la escuela neomarxista de Frankfurt, luego de los esfuerzos de Adorno, Apel, Cohen y Marcuse, termina con el publicitado Habermas y su teoría del consenso (sin percatarse que el consenso siempre ha sido de los poderosos entre sí) y sus discípulos aventajados James Bohman y Leo Avritzer con su teoría de la democracia deliberativa, que como un nuevo nominalismo pretende arreglar las injusticias políticas, económicas y sociales con palabras. Conversando en una especie de asambleísmo permanente.

Si la izquierda está liquidada, ¿qué queda de la derecha? ¿Se puede esperar algo de ella?

De la derecha clásica, tanto del nacionalismo orgánico o integral al estilo de Charles Mauras, como del fascista de Mussolini o del católico de Oliveira Salazar no queda nada. Sólo trabajos de investigación históricos y pequeños grupos políticos sin peso en sus sociedades respectivas. Eso sí, queda como derecha el neo conservadorismo estadounidense y los gobiernos que le son afines. Y de esta derecha liberal, la única que existe con peso político, solo se puede esperar que las cosas empeoren para la salud y el bienestar de los pueblos.




Si esto es así, denunciamos una vez más de entre las cientos de veces que lo hemos intentado mostrar, que la dicotomía izquierda-derecha es estrecha, por no decir falsa, para encarar una lectura adecuada de la realidad.

Hoy situarse a la izquierda o a la derecha es no situarse, es colocarse en un no-lugar, sobre todo para el pensador (rechazo de plano el término intelectual) que pretende elaborar un pensamiento crítico. Y el único método que hoy puede crear pensamiento crítico es el disenso. Disenso no sólo con el pensamiento único y políticamente correcto sino también y sobre todo, con el orden constituido, con el statu quo vigente.

El disenso es estructuralmente una categoría del pensamiento popular, en tanto que el consenso, como vimos, es una apropiación de la izquierda progresista para lograr la democracia deliberativa que tiene mucho de ilustrada, y también, aunque en otro sentido, propiedad del liberalismo como acuerdo de los que deciden, de los poderosos (G8, Davos, FMI, Comisión trilateral, Bildelbergers, etc.).

El disenso que se manifiesta como negación tiene distinto sentido en el pensamiento popular que en el culto. En este último, regido por la lógica de la afirmación, la negación niega la existencia de algo o alguien, en tanto que en el pensamiento popular lo que se niega no es la existencia de algo o alguien, sino su vigencia. La vigencia puede ser entendida como validez, como sentido. El disenso niega el monopolio de la productividad de sentido a los grupos o lobbys de poder, para reservarla al pueblo en su conjunto, más allá de la partidocracia política.

La alternativa hoy es situarse más allá de la izquierda y la derecha. Consiste en pensar a partir de un arraigo, de nuestro genius loci dijera Virgilio. Y no un arraigo cualquiera sino desde las identidades nacionales, que conforman las ecúmenes culturales o regiones que constituyen hoy el mundo. Con esto vamos más allá incluso de la idea de estado-nación, en vías de agotamiento, para sumergirnos en la idea política de gran espacio etnocultural.

Desde estas grandes regiones es desde donde es lícito y eficaz plantearse el enfrentamiento a la globalización o americanización del mundo. Hacerlo como pretende el progresismo desde el humanismo internacional de los derechos humanos, o desde el ecumenismo religioso como ingenuamente pretenden algunos cristianos, es hacerlo desde un universalismo más. Con el agravante que su contenido encierra un aspecto de loable, pero vacuo, inverosímil y no eficaz a la hora del enfrentamiento político.

Pero este enfrentamiento se está dando igual, a pesar de la falencia de los pensadores en no poder elaborarlo aún, a través del surgimiento de los diferentes populismos, que más allá de los reparos que presentan a cualquier espíritu crítico, están cambiando, como observa Robert de Herte
[4] las categorías de lectura. Así la oposición entre burgueses y proletarios de la izquierda clásica va siendo reemplazada por la de pueblo vs. oligarquías, sobre todo financieras y las de izquierda y derecha por la de justicia y seguridad.

Así, mientras que desde la izquierda progresista la crítica a la globalización queda limitada a la no extensión de sus beneficios económicos a la humanidad sino sólo a unos pocos. Porque la izquierda, por su carácter internacionalista no puede denunciar el efecto de desarraigo sobre las culturas tradicionales y sobre las identidades de los pueblos. Su denuncia se transforma así, en un reclamo formal para que la globalización vaya unida a los derechos humanos.




En cambio, es desde los movimientos populares que se realiza la oposición real a las oligarquías transnacionales [5]. Es desde las tradiciones nacionales de los pueblos donde mejor se muestra la oposición a la sociedad global sin raíces, a ese imperialismo desterritorializado del que hablan Hardt y Negri. Es desde la actitud no conformista que se rechaza la imposición de un pensamiento único y de una sociedad uniforme, y se denuncia la globalización como un mal en sí mismo.

Es que el pensamiento popular, si es tal, piensa desde sus propias raíces, no tienen un saber libresco o ilustrado. Piensa desde una tradición que es la única forma de pensar genuinamente según Alasdair MacIntayre
[6], dado que "una tradición viva es una discusión históricamente desarrollada y socialmente encarnada". Por lo que les resulta imposible a los pueblos y a los hombres que los encarnan situarse fuera de su tradición. Cuando lo hacen se desnaturalizan, dejan de ser lo que son. Son ya otra cosa.

Notas

[1] El antiglobalismo de derecha. Marcello Veneziani (1955) periodista del Giornale y del Menssaggero y colaborador con la Rai, es autor de varios ensayos entre los que se destacan: La rivoluzione conservatrice in Italia (1994), Processo all´Occidente (1990) y L´Antinovecento (1996). Podemos inscribirlo dentro de la corriente de pensamiento no-conformista.
[2] Massimo Cacciari(1944). Filósofo, diputado del PC y Alcalde de Venecia hasta 1993. Autor de varios ensayos: L´Angelo necesario (1986), Dell´Inicio (1990), Dran: Meridianos de la decisión en el pensamiento contemporáneo (1992), Geo-filosofia dell´Europa (1995). Pensador disidente de la izquierda europea.
[3] La bancarrota de la izquierda y sus intelectuales (31-3-04). Heinz Dieterich Steffan, es sociólogo y profesor en la UNAM de Méjico y columnista del diario El Universal. Predicador itinerante en todos los países de América de un nuevo proyecto histórico del marxismo. Es autor de una treintena de libros entre los que se destacan: El fin del capitalismo global (1999) y La crisis de los intelectuales en América Latina (2003)
[4] Robert de Herte es el seudónimo de Alain de Benoist (1943). Editor de las revistas Eléments y Krisis y autor de innumerables trabajos entre los que cabe recordar Vu du droite (1977), Orientations pour des années décisives (1982), L´empire intérieur (1995), Au-dela des droits de l´homme (2004). Es el más significativo pensador de una corriente de pensamiento no conformista, alternativa y antiigualitarista en donde se destacan, entre otros, Guillaume Faye, Robert Steuckers, Julien Freund, Alessandro Campi, Claude Karnoouh, Tarmo Kunnas, Thomas Molnar, Dominique Venner, Pierre Vial, Javier Esparza, Giorgio Locchi, etc.
[5] Sobre la relación entre pensamiento popular y negación puede consultarse con provecho el libro La negación en el pensamiento popular (1975) del filósofo argentino Rodolfo Kusch (1922-1979), así como nuestro trabajo: Papeles de un seminario sobre G.R.Kusch (2000). Entre los no pocos filósofos originales que ha dado la Argentina (Taborda, de Anquín, Guerrero, Cossio, Rougés) Gunther Rodolfo Kusch ocupa un destacado lugar. No sólo por la originalidad de sus planteamientos filosóficos sino además porque los mismos han generado toda una corriente de pensamiento a través de la denominada filosofía de la liberación en su rama popular.
[6] Alasdaire MacIntyre (1929) es un filósofo escocés que vive y enseña en los Estados Unidos y que se destacó por su crítica a la situación moral, política y social creada por el liberalismo. Sus trabajos son el basamento de todo el pensamiento comunitarista norteamericano. Sus libros más destacados son: After Virtue (1981), Whose Justice? Which Rationality? (1988), Three rival versions of moral enquiry (1990).

samedi, 13 septembre 2008

Réflexions sur la figure esthétique et littéraire du dandy

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Réflexions sur la figure esthétique et littéraire du “dandy”

 

Intervention de Robert Steuckers au séminaire de “SYNERGON-Deutschland”, Basse-Saxe, 6 mai 2001

 

Avant d’entrer dans le vif du sujet, je voudrais formuler trois remarques préliminaires:

◊ 1. J’ai hésité à accepter votre invitation à parler de la figure du dandy, car ce type de problématique n’est pas mon sujet de préoccupation privilégié.

 

◊ 2. J’ai finalement accepté parce que j’ai redécouvert un essai aussi magistral que clair d’Otto Mann, paru en Allemagne il y de nombreuses années (i. e. : Dandysmus als konservative Lebensform) (*). Cet essai mériterait d’être à nouveau réédité, avec de bons commentaires.

 

◊ 3. Ma troisième remarque est d’ordre méthodologique et définitionnel. Avant de parler du “dandy”, et de rappeler à ce sujet l’excellent travail d’Otto Mann, il faut énumérer les différentes définitions du “dandy”, qui ont cours, et qui sont contradictoires. Ces définitions sont pour la plupart erronées, ou superficielles et insuffisantes. D’aucuns définissent le dandy comme un “pur phénomène de mode”, comme un personnage élégant, sans plus, soucieux de se vêtir selon les dernières modes vestimentaires. D’autres le définissent comme un personnage superficiel, qui aime la belle vie et pérégrine, oisif, de cabaret en cabaret. Françoise Dolto avait brossé un tableau psychologique du dandy. D’autres encore soulignent, quasi exclusivement, la dimension homosexuelle de certains dandies, tel Oscar Wilde. Plus rarement on assimile le dandy à une sorte d’avatar de Don Juan, qui meuble son ennui en collectionnant les conquêtes féminines. Ces définitions ne sont pas celles d’Otto Mann, que nous faisons nôtres.

 

L’archétype: George Bryan Brummell

 

Notre perspective, à la suite de l’essai d’Otto Mann, est d’attribuer au dandy une dimension culturelle plus profonde que toutes ses superficialités “modieuses”, épicuriennes, hédonistes, homosexuelles ou donjuanesques. Pour Otto Mann, le modèle, l’archétype du dandy, reste George Bryan Brummell, figure du début du 19ième siècle qui demeurait équilibrée. Brummell, contrairement à certains pseudo-dandies ultérieurs, est un homme discret, qui ne cherche pas à se faire remarquer par des excentricités vestimentaires ou comportementales. Brummell évite les couleurs criardes, ne porte pas de bijoux, ne se livre pas à des jeux sociaux de pur artifice. Brummell est distant, sérieux, digne; il n’essaie pas de faire de l’effet, comme le feront, plus tard, des figures aussi différentes qu’Oscar Wilde, que Stefan George ou Henry de Montherlant. Chez lui, les tendances spirituelles dominent. Brummell entretient la société, raconte, narre, manie l’ironie et même la moquerie. Pour parler comme Nietzsche ou Heidegger, nous dirions qu’il se hisse au-dessus de l’«humain, trop humain» ou de la banalité quotidienne (Alltäglichkeit).

 

Brummell, dandy de la première génération, incarne une forme culturelle, une façon d’être, que notre société contemporaine devrait accepter comme valable, voire comme seule valable, mais qu’elle ne génère plus, ou plus suffisamment. Raison pour laquelle le dandy s’oppose à cette société. Les principaux motifs qui sous-tendent son opposition sont les suivants : 1) la société apparaît comme superficielle et marquée de lacunes et d’insuffisances; 2) le dandy, en tant que forme culturelle, qu’incarnation d’une façon d’être, se pose comme supérieur à cette société lacunaire et médiocre; 3) le dandy à la Brummell ne commet aucun acte exagéré, ne commet aucun scandale (par exemple de nature sexuelle), ne commet pas de crime, n’a pas d’engagement politique (contrairement aux dandies de la deuxième génération comme un Lord Byron). Brummell lui-même ne gardera pas cette attitude jusqu’à la fin de ses jours, car il sera criblé de dettes, mourra misérablement à Caen dans un hospice. Il avait, à un certain moment, tourné le dos au fragile équilibre que réclame la posture initiale du dandy, qu’il avait été le premier à incarner.

 

Un idéal de culture, d’équilibre et d’excellence

 

S’il n’y a dans son comportement et sa façon d’être aucune exagération, aucune originalité flamboyante, pourquoi la figure du dandy nous apparaît-elle quand même importante, du moins intéressante? Parce qu’elle incarne un idéal, qui est en quelque sorte, mutatis mutandis, celui de la paiedeia grecque ou de l’humanitas romaine. Chez Evola et chez Jünger, nous avons la nostalgie de la magnanimitas latine, de l’hochmüote des chevaliers germaniques des 12ième et 13ième siècles, avatars romains ou médiévaux d’un modèle proto-historique perse, mis en exergue par Gobineau d’abord, par Henry Corbin ensuite. Le dandy est l’incarnation de cet idéal de culture, d’équilibre et d’excellence dans une période plus triviale de l’histoire, où le bourgeois calculateur et inculte, et l’énergumène militant, de type hébertiste ou jacobin, a pris le pas sur l’aristocrate, le chevalier, le moine et le paysan.

 

A la fin du 18ième siècle, avec la révolution française, ces vertus, issues du plus vieux fond proto-historique de l’humanité européenne, sont complètement remises en question. D’abord par l’idéologie des Lumières et son corrolaire, l’égalitarisme militant, qui veut effacer toutes les traces visibles et invisibles de cet idéal d’excellence. Ensuite, par le Sturm und Drang et le romantisme, qui, par réaction, basculent parfois dans un sentimentalisme incapacitant, parce qu’expression, lui aussi, d’un déséquilibre. Les modèles immémoriaux, parfois estompés et diffus, les attitudes archétypales survivantes disparaissent. C’est en Angleterre qu’on en prend conscience très vite, dès la fin du 17ième, avant même les grands bouleversements de la fin du 18ième : Addison et Steele dans les colonnes du Spectator et du Tatler, constatent qu’il est nécessaire et urgent de conserver et de maintenir un système d’éducation, une culture générale, capables de garantir l’autonomie de l’homme. Une valeur que les médias actuels ne promeuvent pas, preuve discrète que nous avons bel et bien sombré dans un monde orwellien, qui se donne un visage de “bon apôtre démocratique”, inoffensif et “tolérant”, mais traque impitoyablement toutes les espaces et résidus d’autonomie de nos contemporains. Addison et Steele, dans leurs articles successifs, nous ont légué une vision implicite de l’histoire culturelle et intellectuelle de l’Europe.

 

L’idéal de Goethe

 

Le plus haut idéal culturel que l’Europe ait connu est bien entendu celui de la paideia grecque antique. Elle a été réduite à néant par le christianisme primitif, mais, dès le 14ième siècle, on sent, dans toute l’Europe, une volonté de faire renaître les idéaux antiques. Le dandy, et, bien avant son émergence dans le paysage culturel européen, les deux journalistes anglais Steele et Addison, entendent incarner cette nostalgie de la paideia, où l’autonomie de chacun est respectée. Ils tentent en fait de réaliser concrètement dans la société l’objectif de Goethe: inciter leurs contemporains à se forger et se façonner une personnalité, qui sera modérée dans ses besoins, satisfaite de peu, mais surtout capable, par cette ascèse tranquille, d’accéder à l’universel, d’être un modèle pour tous, sans trahir son humus originel (Ausbildung seiner selbst zur universalen und selbstgenugsamen Persönlichkeit). Cet idéal goethéen, partagée  anticipativement par les deux publicistes anglais puis incarné par Brummell, n’est pas passé après les vicissitudes de la révolution française, de la révolution industrielle et des révolutions scientifiques de tous acabits. Sous les coups de cette modernité, irrespectueuse des Anciens, l’Europe se retrouve privée de toute culture substantielle, de toute épine dorsale éthique. On en mesure pleinement les conséquences aujourd’hui, avec la déliquescence de l’enseignement.

 

A partir de 1789, et tout au long du 19ième siècle, le niveau culturel ne cesse de s’effondrer. Le déclin culturel commence au sommet de la pyramide sociale, désormais occupé par la bourgeoisie triomphante qui, contrairement aux classes dominantes des époques antérieures, n’a pas d’assise morale (sittlich) valable pour maintenir un dégré élevé de civilisation; elle n’a pas de fondement religieux, ni de réelle éthique professionnelle, contrairement aux artisans et aux gens de métier, jadis encadrés dans leurs gildes ou corporations (Zünfte). La seule réalisation de cette bourgeoisie est l’accumulation méprisable de numéraire, ce qui nous permet de parler, comme René Guénon, d’un “règne de la quantité”, d’où est bannie toute qualité. Dans les classes défavorisées, au bas de l’échelle sociale, tout élément de culture est éradiqué, tout simplement parce que chez les pseudo-élites, il n’y a déjà plus de modèle culturel; le peuple, aliéné, précarisé, prolétarisé, n’est plus une matrice de valeurs précises, ethniquement déterminées, du moins une matrice capable de générer une contre-culture offensive, qui réduirait rapidement à néant ce que Thomas Carlyle appelait la “cash flow mentality”. En conclusion, nous assistons au déploiement d’une barbarie nantie, à haut niveau économique (eine ökonomisch gehobene Barbarei), mais à niveau culturel nul. On ne peut pas être riche à la mode du bourgeois et, simultanément, raffiné et intelligent. Cette une vérité patente : personne de cultivé n’a envie de se retrouver à table, ou dans un salon, avec des milliardaires de la trempe d’un Bill Gates ou d’un Albert Frère, ni avec un banquier ou un fabricant de moteurs d’automobile ou de frigidaires. Le véritable homme d’esprit, qui se serait égaré dans le voisinage de tels sinistres personnages, devrait sans cesse réprimer des baillements en subissant le vomissement continu de leurs bavardages ineptes, ou, pour ceux qui ont le tempérament plus volcanique, réprimer l’envie d’écraser une assiette bien grasse, ou une tarte à la façon du Gloupier, sur le faciès blet de ces nullités. Le monde serait plus pur —et sûrement plus beau— sans la présence de telles créatures.

 

La mission de l’artiste selon Baudelaire

 

Pour le dandy, il faut réinjecter de l’esthétique dans cette barbarie. En Angleterre, John Ruskin (1819-1899), les Pré-Réphaélites avec Dante Gabriel Rossetti et William Morris, vont s’y employer. Ruskin élaborera des projets architecturaux, destinés à embellir les villes enlaidies par l’industrialisation anarchique de l’époque manchesterienne, qui déboucheront notamment sur la construction de “cités-jardins” (Garden Cities). Les architectes belges et allemands de l’Art Nouveau ou Jugendstil, dont Henry Vandervelde et Victor Horta, prendront le relais. A côté de ces réalisations concrètes  —parce que l’architecture permet plus aisément de passer au concret—  le fossé ne cesse de se creuser entre l’artiste et la société. Le dandy se rapproche de l’artiste. En France, Baudelaire pose, dans ses écrits théoriques, l’artiste comme le nouvel “aristocrate”, dont l’attitude doit être empreinte de froideur distante, dont les sentiments ne doivent jamais s’exciter ni s’irriter outre mesure, dont l’ironie doit être la qualité principale, de même que la capacité à raconter des anecdotes plaisantes. Le dandy artiste prend ses distances par rapport à tous les dadas conventionnels et habituels de la société. Ces positions de Baudelaire se résument dans les paroles d’un personnage d’Ernst Jünger, dans le roman Héliopolis : «Je suis devenu le dandy, qui prend pour important ce qui ne l’est pas, qui se moque de ce qui est important » («Ich wurde zum Dandy, der das Unwichtige wichtig nahm, das Wichtige belächelte»). Le dandy de Baudelaire, à l’instar de Brummell, n’est donc pas un personnage scandaleux et sulfureux à la Oscar Wilde, mais un observateur froid (ou, pour paraphraser Raymond Aron, un “spectateur désengagé”), qui voit le monde comme un simple théâtre, souvent insipide où des personnages sans réelle substance s’agitent et gesticulent. Le dandy baudelérien a quelque peu le goût de la provocation, mais celle-ci reste cantonnée, dans la plupart des cas, à l’ironie.

 

Les exagérations ultérieures, souvent considérées à tort comme expressions du dandysme, ne correspondent pas aux attitudes de Brummell, Baudelaire ou Jünger. Ainsi, un Stefan George, malgré le grand intérêt de son œuvre poétique, pousse l’esthétisme trop loin, à notre avis, pour verser dans ce qu’Otto Mann appelle l’«esthéticisme», caricature  de toute véritable esthétique.Pour Stefan George, c’est un peu la rançon à payer à une époque où la “perte de tout juste milieu” devient la règle (Hans Sedlmayr a explicité clairement dans un livre célèbre sur l’art contemporain, Verlust der Mitte, cette perte du “juste milieu”). Sedlmayr mettait clairement en exergue cette volonté de rechercher le “piquant”. Stefan George le trouvera dans ses mises en scène néo-antiques. Oscar Wilde ne mettra rien d’autre en scène que lui-même, en se proclamant “réformateur esthétique”. L’art, dans sa perspective, n’est plus un espace de contestation destiné à investir totalement, à terme, le réel social, mais devient le seule réalité vraie. La sphère économique, sociale et politique se retrouve dévalorisée; Wilde lui dénie toute substantialité, réalité, concrétude. Si Brummell conservait un goût tout de sobriété, s’il gardait la tête sur les épaules, Oscar Wilde se posait d’emblée comme un demi-dieu, portait des vêtements extravagants, aux couleurs criardes, un peu comme les Incroyables et les Merveilleuses au temps de la révolution française. Provocateur, il a aussi amorcé un processus de mauvaise “féminisation/dévirilisation”, en se promenant dans les rues avec des fleurs à la main. A l’heure des actuelles “gay prides”, on peut le considérer comme un précurseur. Ses poses constituent tout un théâtre, assez éloigné, finalement, de ce sentiment tranquille de supériorité, de dignité virile, de “nil admirari”, du premier Brummell.

 

Auto-satisfaction et sur-dimensionnement du “moi”

 

Pour Otto Mann, cette citation de Wilde est emblématique : « Les dieux m’ont presque tout donné. J’avais du génie, un nom illustre, une position sociale élevée, la gloire, l’éclat, l’audace intellectuelle ; j’ai fait de l’art une philosophie et de la philosophie un art; j’ai appris aux hommes à penser autrement et j’ai donné aux choses d’autres couleurs... Tout ce que j’ai touché s’est drapé dans de nouveaux effets de beauté; à la vérité, je me suis attribué, à juste titre, le faux comme domaine et j’ai démontré que le faux, tout comme le vrai, n’est qu’une simple forme d’existence postulée par l’intellect. J’ai traité l’art comme la vérité suprême, et la vie comme une branche de la poésie et de la littérature. J’ai éveillé la fantaisie en mon siècle, si bien qu’il a créé, autour de moi, des mythes et des légendes. J’ai résumé tous les systèmes philosophiques en un seul épigramme. Et à côté de tout cela, j’avais encore d’autres atouts». L’auto-satisfaction, le sur-dimensionnement du “moi” sont patents, vont jusqu’à la mystification.

 

Ces exagérations iront croissant, même dans l’orbite de cette virilité stoïque, chère à Montherlant. Celui-ci, à son tour, exagère dans les poses qu’il prend, en pratiquant une tauromachie fort ostentatoire ou en se faisant photographier, paré du masque d’un empereur romain. Le risque est de voir des adeptes minables verser dans un “lookisme” tapageur et de mauvais goût, de formaliser à l’extrême ces attitudes ou ces postures du poète ou de l’écrivain. En aucun cas, elles n’apportent une solution au phénomène de la décadence. En matière de dandysme, la seule issue est de revenir calmement à Brummell lui-même, avant qu’il ne sombre dans les déboires financiers. Car ce retour au premier Brummell équivaut, si l’on se souvient des exhortations antérieures d’Addison et Steele, à une forme plus moderne, plus civile et peut-être plus triviale de paideia ou d’humanitas. Mais, trivialité ou non, ces valeurs seraient ainsi maintenues, continueraient à exister et à façonner les esprits. Ce mixte de bon sens et d’esthétique dandy permettrait de dégager un objectif politique pratique : défendre l’école au sens classique du terme, augmenter sa capacité à transmettreles legs de l’antiquité hellénique et romaine, prévoir une pédagogie nouvelle et efficace, qui serait un mixte d’idéalisme à la Schiller, de méthodes traditionnelles et de méthodes inspirées par Pestalozzi.

 

Retour à la religion ou “conscience malheureuse”?

 

La figure du dandy doit donc être replacée dans le contexte du 18ième siècle, où les idéaux et les modèles classiques de l’Europe traditionnelle s’érodent et disparaissent sous les coups d’une modernité équarissante et arasante. Les substances religieuses, chrétiennes ou pré-chrétiennes sous vernis chrétien, se vident et s’épuisent. Les Modernes prennent le pas sur les Anciens. Ce processus conduit forcément à une crise existentielle au sein de l’écoumène civilisationnel européen. Deux pistes s’offrent à ceux qui tentent d’échapper à ce triste destin : 1) Le retour à la  religion, ou à la tradition, piste importante mais qui n’est pas notre propos aujourd’hui, tant elle représente un continent de la pensée, fort vaste, méritant un séminaire complet à elle seule. 2) Cultiver ce que les romantiques appelaient la Weltschmerz, la douleur que suscitait ce monde désenchanté, ce qui revient à camper sur une position critique permanente à l’endroit des manifestations de la modernité, à développer une conscience malheureuse, génératrice d’une culture volontairement en marge, mais où l’esprit politiquepeut puiser des thématiques offensives et contestatrices.

 

Pour le dandy et le romantique, qui oscille entre le retour à la religion et le sentiment de Weltschmerz, cette dernière est surtout ressentie de l’intérieur. C’est dans l’intériorité du poète ou de l’artiste que ce sentiment va mûrir, s’accroître, se développer. Jusqu’au point de devenir dur, de dompter le regard et d’éviter ainsi les langueurs ou les colères suscitées par la conscience malheureuse. En bout de course, le dandy doit devenir un observateur froid et impartial, qui a dominé ses sentiments et ses émotions. Si le sang a bouillonné face aux “horreurs économiques”, il doit rapidement se refroidir, conduire à l’impassibilité, pour pouvoir les affronter efficacement. Le dandy, qui a subi ce processus, atteint ainsi une double impassibilité : rien d’extérieur ne peut plus l’ébranler; mais aucune émotion intérieure non plus. Pierre Drieu La Rochelle ne parviendra jamais à un tel équilibre, ce qui donne une touche très particulière et très séduisante à son œuvre, tout simplement parce qu’elle nous dévoile ce processus, en train de se réaliser, vaille que vaille, avec des ressacs, des enlisements et des avancées. Drieu souffre du monde, s’essaie aux avant-gardes, est séduit par la discipline et les aspects “métalliques” du fascisme “immense et rouge”, en marche à son époque, accepte mentalement la même discipline chez les communistes et les staliniens, mais n’arrive pas vraiment à devenir un “observateur froid et impartial” (Benjamin Constant). L’œuvre de Drieu La Rochelle est justement immortelle parce qu’elle révèle cette tension permanente, cette crainte de retomber dans les ornières d’une émotion inféconde, cette joie de voir des sorties vigoureuses hors des torpeurs modernes, comme le fascisme, ou la gouaille d’un Doriot.

 

Blinder le mental et le caractère

 

En résumé, le processus de deconstruction des idéaux de la paideia antique, et de déliquescence des substantialités religieuses immémoriales, qui s’amorce à la fin du 18ième siècle, équivaut à une crise existentielle généralisée à tous les pays occidentaux. La réponse de l’intelligence à cette crise est double : ou bien elle appelle un retour à la religion ou bien elle suscite, au fond des  âmes, une douleur profondément ancrée, la fameuse Weltschmerz des romantiques. La Weltschmerz se ressent dans l’intériorité profonde de l’homme qui fait face à cette crise, mais c’est aussi dans son intériorité qu’il travaille silencieusement à dépasser cette douleur, à en faire le matériel premier pour forger la réponse et l’alternative à cette épouvantable déperdition de substantialité, surplombée par un économicisme délétère. Il faut donc se blinder le mental et le caractère, face aux affres qu’implique la déperdition de substantialité, sans pour autant inventer de toutes pièces des Ersätze plus ou moins boîteux à la substantialité de jadis. Baudelaire et Wilde pensent, tous deux à leur manière, que l’art va offrir une alternative, plus souple et plus mouvante que les anciennes substantialités, ce qui est quasiment exact sur toute la ligne, mais, dans ce cas, l’art ne doit pas être entendu comme simple esthétisme. Le blindage du mental et du caractère doit servir, in fine, à combattre l’économicisme ambiant, à lutter contre ceux qui l’incarnent, l’acceptent et mettent leurs énergies à son service. Ce blindage doit servir de socle moral et psychologique dur aux idéaux de combat politique et métapolique. Ce blindage doit être la carapace de ce qu’Evola appelait l’«homme différencié», celui qui “chevauche le tigre”, qui erre, imperturbé et imperturbable, “au milieu des ruines”, ou que Jünger désignait sous le vocable d’«anarque». “L’homme différencié qui chevauche le tigre au milieu des ruines” ou “l’anarque” sont posés d’emblée comme des observateurs froids, impartiaux, impassibles. Ces hommes différenciés, blindés, se sont hissés au-dessus de deux catégories d’obstacles : les obstacles extérieurs et les obstacles générés par leur propre intériorité. C’est-à-dire les barrages dressés par les “hommes de moindre valeur”  et les alanguissements de l’âme en détresse.

 

Figures tchandaliennes de la décadence

 

La crise existentielle, qui débute vers le milieu du 18ième siècle, débouche donc sur un nihilisme, très judicieusement défini par Nietzsche comme un “épuisement de la vie”, comme “une dévalorisation des plus hautes valeurs”, qui s’exprime souvent par une agitation frénétique sans capacité de jouir royalement de l’otium, agitation qui accélère le processus d’épuisement. La mise en schémas de l’existence est l’indice patent que nos “sociétés”ne forment plus des “corps”, mais constituent, dit Nietzsche, des “conglomérats de Tchandalas”, chez qui s’accumulent les maladies nerveuses et psychiques, signe que la puissance défensive des fortes natures n’est plus qu’un souvenir. C’est justement cette “puissance défensive” que l’homme “différencié” doit, au bout de sa démarche, de sa quête dans les arcanes des traditions, reconstituer en lui. Nietzsche énumère très clairement les vices du Tchandala, figure emblématique de la décadence européenne, issue de la crise existentielle et du nihilisme: le Tchandala est affecté de pathologies diverses, sur fond d’une augmentation de la criminalité, de célibat  généralisée et de stérilité voulue, d’hystérie, d’affaiblissement constant de la volonté, d’alcoolisme (et de toxicomanies diverses ajouterions-nous), de doute systématique, d’une destruction méthodique et acharnée des résidus de force. Parmi les figures tchandaliennes de cette décadence et de ce nihilisme, Nietzsche compte ceux qu’il appelle les “nomades étatiques” (Staatsnomaden) que sont les fonctionnaires, sans patrie réelle, serviteurs du “monstre froid”, au mental mis en schémas et, subséquemment, générateurs de toujours davantage de schémas, dont l’existence parasitaire engendre, par leur effroyable pesanteur en progression constante, le déclin des familles, dans un environnement fait de diversités contradictoires et émiettées, où l’on trouve

 

-         le “disciplinage” (Züchtung) des caractères pour servir les abstractions du monstre froid,

-         la lubricité généralisée comme forme de nervosité et comme expression d’un besoin insatiable et compensatoire de stimuli et d’excitations,

-         les névroses en tous genres,

-         les fascinations morbides pour les mécanismes et pour les enchaînements, limités, de sèches causalités sans levain,

-         le présentisme politique (Augenblickdienerei) où ne dominent plus, souverainement, ni longue mémoire ni perspectives profondes ni sens naturel et instinctif du bon droit,

-         le sensibilisme pathologique,

-         les doutes inféconds procédant d’un effroi morbide face aux forces impassables qui ont fait et feront encore l’histoire-puissance,

-         une peur d’arraisonner le réel, de saisir les choses tangibles de ce monde.

 

Victor Segalen en Océanie, Ernst Jünger en Afrique

 

Dans ce complexe de froideur, d’immobilisme agité, de frénésies infécondes, de névroses, une première réponse au nihilisme est d’exalter et de concrétiser le principe de l’aventure, où le contestataire quittera le monde bourgeois tissé d’artifices, pour s’en aller vers des espaces vierges, intacts, authentiques, ouverts, mystérieux. Gauguin part pour les îles du Pacifique. Victor Segalen, à sa suite, chante l’Océanie primordiale et la Chine impériale qui se meurt sous les coups de l’occidentalisme. Segalen demeure breton, opère ce qu’il appelait le “retour à l’os ancestral”, dénonce l’envahissement de Tahiti par les “romances américaines”, ces “parasites immondes”, rédige un “Essai sur l’exotisme” et “Une esthétique du divers”. Le rejet des brics et brocs sans passé profond ont valu à Segalen un ostracisme injustifié dans sa patrie : il reste un auteur à redécouvrir, dans la perspective qui est nôtre.

 

Le jeune Jünger, encore adolescent, rêve de l’Afrique, du continent où vivent les éléphants et d’autres animaux fabuleux, où les espaces et les paysages ne sont pas meurtris par l’industrialisation, où la nature et les peuples indigènes ont conservé une formidable virginité, permettant encore tous les possibles. Le jeune Jünger s’engage dans la Légion Etrangère pour concrétiser ce rêve, pour pouvoir débarquer dans ce continent nouveau, perclus de mystères et de vitalité. 1914 lui donnera, à lui et à toute sa génération, l’occasion de sortir d’une existence alanguissante. Dans la même veine, Drieu La Rochelle parlera de l’élan de Charleroi. Et plus tard, Malraux, de “Voie Royale”. A “gauche” (pour autant que cette dichotomie politicienne ait un sens), on parlera plutôt d’ “engagement”, où ce même enthousiasme se retrouvera surtout lors de la Guerre d’Espagne, où Hemingway, Orwell, Koestler, Simone Weil s’engageront dans le camp des Républicains, et Campbell dans le camp des Nationalistes, qui fut aussi, comme on le sait, chanté par Robert Brasillach. L’aventure et l’engagement, dans l’uniforme du soldat ou des milices phalangistes, dans les rangs des brigades internationales ou des partisans, sont perçus comme antidotes à l’hyperformalisme d’une vie civile sans couleurs. “I was tired of civilian life, therefore I joined the IRA”), est-il dit dans un chant nationaliste irlandais, qui, dans son contexte particulier, proclame, avec une musique primesautière, cette grande envolée existentialiste du début du 20ième siècle avec toute la désinvolture, la verdeur, le rythme et la gouaille de la Verte Eirinn.

 

Ivresses? Drogues? Amoralisme?

 

Mais si l’engagement politique ou militaire procure, à ceux que le formalisme d’une vie civile, sans plus aucun relief ni équilibre traditionnel, ennuie, le supplément d’âme recherché, le rejet de tout formalisme peut conduire à d’autres attitudes, moins positives. Le dandy, qui quitte la pose équilibrée de Brummell ou la critique bien ciselée de Baudelaire, va vouloir expérimenter toujours davantage d’excitations, pour le seul plaisir stérile d’en éprouver. La drogue, la toxicomanie, la consommation exagérée d’alcools vont constituer des échappatoires possibles: la figure romanesque créée par Huysmans, Des Esseintes, fuira dans les liqueurs. Thomas De Quincey évoquera les “mangeurs d’opium” (“The Opiumeaters”). Baudelaire lui-même goûtera l’opium et le haschisch. Ce basculement dans les toxicomanies s’explique par la fermeture du monde, après la colonisation de l’Afrique et d’autres espaces jugés vierges; l’aventure réelle, dangereuse, n’y est plus possible. La guerre, expérimentée par Jünger, quasi en même temps que les “drogues et les ivresses”, cesse d’attirer car la figure du guerrier devient un anachronisme quand les guerres se professionnalisent, se mécanisent et se technicisent  à outrance.

 

Autre échappatoire sans aucune positivité : l’amoralisme et l’anti-moralisme. Oscar Wilde fréquentera des bars louches, exhibera de manière très ostentatoire son homosexualité. Son personnage Dorian Gray devient criminel, afin de transgresser toujours davantage ce qui a déjà été transgressé, avec une sorte d’hybris pitoyable. On se souviendra de la fin pénible de Montherlant et on gardera en mémoire l’héritage douteux que véhicule encore aujourd’hui son exécuteur testamentaire, Gabriel Matzneff, dont le style littéraire est certes fort brillant mais dans le sillage duquel de bien tristes scénarios se déroulent, montés en catimini, dans des cercles fermés et d’autant plus pervers et ridicules que la révolution sexuelle des années 60 permet tout de même de goûter sans moralisme étriqué à beaucoup de voluptés gaillardes et goliardes. Ces drogues, transgressions et sexomanies bouffonnes constituent autant d’apories, de culs-de-sac existentiels où aboutissent lamentablement quelques détraqués, en quête d’un “supplément d’âme”, qu’ils veulent “transgresseur”, mais qui, pour l’observateur ironique, n’est rien d’autre que le triste indice d’une vie ratée, d’une absence de grand élan véritable, de frustrations sexuelles dues à des défauts ou des infirmités physiques. Décidément, ne “chevauche pas le  Tirgre” qui veut et on ne voit pas très bien quel “Tigre” il y a à chevaucher dans les salons où le vieux beau Matzneff laisse quelques miettes de ses agapes sexuelles à ses admirateurs un peu torves...

 

Ascèse religieuse

 

L’alternative véritable, face au monde bourgeois, des “petits jobs” et des “petits calculs”, moqués par Hannah Arendt, dans un monde désormais fermé, où aventures et découvertes ne sont plus que répétitions, où la guerre est “high tech” et non plus chevaleresque, réside dans l’ascèse religieuse, dans un certain retour au monachisme de méditation, dans le recours aux traditions (Evola, Guénon, Schuon). Drieu la Rochelle évoque cette piste dans son “Journal”, après ses déceptions politiques, et rend compte de sa lecture de Guénon. Les frères Schuon sont exemplaires à ce titre : Frithjof part à la Légion Etrangère, arpente le Sahara, fait connaissance avec les soufis et les marabouts du désert ou de l’Atlas, adhère à une mystique soufie islamisée, part ensuite dans les réserves de Sioux aux Etats-Unis, laisse une œuvre picturale étonnante et époustouflante. Son frère, nommé le “Père Galle”, arpente les réserve améridiennes d’Amérique du Nord, traduit les évangiles en langue sioux, se retire dans une trappe wallonne, y dresse des jeunes chevaux à la mode indienne, y rencontre Hergé et se lie d’amitié avec lui. Des existences qui prouvent que l’aventure et l’évasion totale hors du monde frelaté de l’occidentisme (Zinoviev) demeure possible et féconde.

 

Car la rébellion est légitime, si elle ne bascule pas dans les apories ou ne débouche pas sur un satanisme de mauvais aloi, comme dans certaines sectes néo-païennes, plus ou moins inspirées par les faits et gestes d’un Alistair Crowley. Ce dérapage s’explique : la rébellion, faute de cause, devient hélas service à Satan, lorsque le mal en soi  —ou ce qui passe pour le “mal en soi”—  est devenu l’excitation existentielle considérée comme la plus osée. Dans un monde désenchanté, comme le nôtre, livré aux plaisirs stupides et passifs fournis par les médias, ce satanisme, avec son cortège sinistre de gesticulations absurdes et infécondes, séduit des esprits faibles, comme ceux qui traînent, par puritanisme mal digéré et mal surmonté, dans les salons où agit Matzneff et “passivent” ses voyeurs d’admirateurs. Ce n’est en tout cas pas l’attitude que souhaitait généraliser Brummell.

 

Robert STEUCKERS,

Forest/Flotzenberg, Vlotho im Weserbergland, mai 2001.

 

Note:

(*) : Otto MANN, “Dandysmus als konservative Lebensform” in: Gerd-Klaus KALTENBRUNNER (Hrsg.), Konservatismus International, Seewald Verlag, Stuttgart, 1973, ISBN 3-51200327-3, pp.156-170.